La table des pauvres - la critique

Un témoignage précieux de l’art de Raffaele Viviani, chantre inspiré de Naples, servi par la mise en scène virtuose mais discrète de blasetti.

L’argument : Désormais à bout de ressources, le marquis Fusaro parvient difficilement à maintenir les apparences. Sur la foi de sa réputation de générosité et de rectitude morale, un mendiant, Biase, lui confie ses économies, 7500 lires, pour qu’il les mette à la banque. Mais à la suite d’un quiproquo, le comité de bienfaisance prend cet argent comme contribution du marquis à l’organisation d’un banquet pour les pauvres et élit Fusaro à la présidence de l’association. Le scandale ne sera évité in extremis que grâce à la vente des deux derniers tableaux de valeur encore en possession du marquis.

Notre avis : Raffaele Viviani (1888-1950) fut un des chantres les plus inspirés de la ville de Naples et sa pièce en un acte La tavola dei poveri, admirable comédie triste, est un brillant exemple de sa verve à la fois populaire et subtile, qui manie le paradoxe et l’ironie tout en parvenant a faire vivre des personnages hauts en couleurs mais profondément humains.
Sa description sans concessions de la violence des rapports sociaux et le fort ancrage dialectal de ses oeuvres n’étaient guère au goût des autorités fascistes. C’est pourtant en 1932 qu’Emilio Cecchi produisit pour la Cines cette adaptation (par l’auteur et Mario Soldati) de La tavola dei poveri qui n’atténue ni la charge sociale ni la couleur dialectale de la pièce.
Alessandro Blasetti, dont c’est le sixième long-métrage, remplaça Guido Brignone, initialement prévu, à la direction artistique et intervint aussi au niveau de l’écriture.

Si la mise en scène du jeune cinéaste prodige (32 ans) frappe par l’élégance des mouvements de caméra et la majesté des travellings, le tour de force des plans-séquences minutieusement organisés et exécutés permet avant tout d’apprécier la performance de Viviani acteur et de ses impeccables partenaires (Mention spéciale pour le Biase irrésistible de Salvatore Costa). C’était bien avant que ne s’abatte sur le cinéma italien la plaie de la post-synchronisation. Viviani, mime et diseur hors pair, parvient à donner au personnage drôle et discrètement pathétique du marquis Fusaro une véritable noblesse. La manière dont, à jeun depuis deux jours, il teste et commente le goût de la soupe qui doit être servie aux pauvres, ou celle dont, à la toute fin, il rend poliment la pièce qu’un passant a jeté dans son chapeau imprudemment enlevé pour s’essuyer le front, sont inoubliables.

C’est avec Un amore selvaggio d’Enrico Guazzoni (1912), L’ultimo scugnizzo de Gennaro Righelli (1938) et une ou deux bandes d’actualités, un des rares témoignages audiovisuel permettant d’apprécier le travail de cet immense artiste. Les extérieurs napolitains, magnifiés par la photo de Carlo Montuori et une superbe restauration (image et son) lui fournissent un écrin digne de son talent.