Striptease Camorra
Le 27 juin 2019
À l’occasion de la diffusion depuis ce 24 juin de la saison 4 de la série Gomorra sur Canal+, retour sur le film éponyme, sorti il y a plus de 10 ans, une glaciale plongée dans la réalité du crime organisé, bien loin de Coppola et Scorsese.
- Réalisateur : Matteo Garrone
- Acteurs : Toni Servillo, Gianfelice Imparato, Salvatore Abruzzese, Maria Nazionale , Salvatore Cantalupo
- Genre : Drame, Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Film de gangsters, Policier
- Nationalité : Italien
- Distributeur : Le Pacte
- Durée : 2h15mn
- Âge : Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs
- Date de sortie : 13 août 2008
- Festival : Festival de Cannes 2008
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Résumé : « On ne partage pas un empire d’une poignée de main, on le découpe au couteau. » Cet empire, c’est Naples et la Campanie. Gomorrhe aux mains de la Camorra. Là-bas, une seule loi : la violence. Un seul langage : les armes. Un seul rêve : le pouvoir. Une seule ivresse : le sang. Nous assistons à quelques jours de la vie des habitants de ce monde impitoyable...
Analyse : la mafia serait-elle aussi une invention de Hollywood (Hoover, indéboulonnable boss du FBI n’a pas cru à son existence pendant des années), depuis le premier Scarface (1932) de Hawks, puis les Coppola et Scorsese, un genre cinématographique au même titre que le film de guerre ou le western ? Justement, parlons western.
Personne ne contestera que, grosso modo, l’histoire du western se divise en avant et après Sergio Leone. Qu’apporta Leone ? Un mélange de réalisme et de maniérisme à coup de cinémaScope, gamme chromatique limitée, lenteur, violence et guitares électriques. Le réalisme, lui, venait d’un travail titanesque de recherches documentaires sur la guerre de Sécession, la construction des chemins de fer ou les vrais cow-boys. Les maxi-manteaux d’Il était une fois dans l’Ouest ne sont pas une fantaisie de costumière de Cinecittà, mais issus des photos d’époque. Leone racontait des histoires, certes improbables, mais dans les tourmentes de la grande histoire, « des ballets de morts », comme il disait. On digresse ? Revenons à la mafia.
Pour le film de mafia, peut-on parler d’un avant et d’un après Gomorra ? La question n’est pas totalement stupide. Quand sort Gomorra, le genre a déjà connu au moins deux breaks. Le premier avec Le Parrain de Coppola qui raconte (presque) pour la première fois la vie de charmante confrérie vue de l’intérieur ou plutôt de très haut, de son « aristocratie » et ses luttes sur fond de folklore sicilien. Le second, c’est Les Affranchis de Scorsese, qui descend d’un cran dans les rouages du crime organisé, là ou se mélangent « gestion » des petites affaires de ses soldats et délinquance de rue.
Plus de dix ans après la sortie de Gomorra, Matteo Garrone gagne-t-il le titre du Leone du genre ? Tentant d’y songer car sa démarche est assez similaire, avec une même double rupture dans le réalisme et la réalisation.
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Le réalisme. Quand Scorsese décortique l’organisation, il reste dans les étages des cadres et chefs de services et garde encore une certaine part de folklore, malgré la « réalité » de l’histoire, celle de Henry Hill, ancien gangster de New York. Garrone, lui, plonge carrément dans les sous-sols, les soutes, là où ça rame sévère et point de parrain au luxe ostentatoire. Le seul truand qui semble un tant soi peu « important » se cogne aussi le boulot, et pas le plus appétissant : le traitement à la va-que-je-te-pousse d’ordures et de déchets toxiques. C’est précisément là où Garrone et Leone se rejoignent : le vrai, que l’on peut toucher. Ici, pas besoin de photos d’archives pour se dire « ah oui, c’était comme ça » : il suffit de faire un tour dans les banlieues où ça deale à tour de bras et où dans les arrière-cours s’empilent Pakistanais ou Chinois derrière des machines à coudre. La mafia est partout en Italie, au point que c’est grâce à elle que « ce pays de merde » a intégré la zone euro. Délire de scénariste ? Non. Le film est tiré du pavé éponyme, une enquête de Roberto Saviano parue en 2006, tellement bien documentée que depuis, Saviano a un contrat sur la tête et vit toujours sous protection policière. Au-delà d’une démonstration implacable de la présence de la pieuvre dans toutes les couches de l’économie via un récit choral, Garrone finit d’enfoncer le clou avec sa réalisation.
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La réalisation. Clinique. Souvenez-vous, l’émission Striptease sur France 3 : des tranches de vies incroyables, reportages bruts où la caméra suivait comme une mouche des gens ordinaires, artisans, putes ou fous pendant des semaines. Gomorra, ce n’est pas un film, c’est « Striptease Camorra ». Le même malaise que génère Garrone en adoptant le style reporter-image, pour suivre ici, un gamin de onze ou douze ans dealant dans une cité véritable camp retranché, là, un chef d’atelier clandestin sous pression matin, midi, soir et nuit, deux ados se croyant dans Scarface (version De Palma cette fois), après avoir trouvé par hasard des armes, et qui ne vont pas tarder à agacer le boss local, ou un petit comptable de l’organisation distribuant les pensions aux veuves de voyous. Ces récits restent bien parallèles et ne se mélangent jamais car c’est précisément le principe de la pieuvre ; au mieux on verra une ventouse et un vague bout de tentacule, mais jamais l’ombre d’un parrain. Gomorra est un film d’une violence rare, pas au sens fusillades (il y en a, mais tellement rapides qu’on réalise à peine), mais visuelle (cette cité est une horreur) et psychologique. Gomorra secoue. Gomorra dérange. Gomorra est malsain.
Alors est-ce qu’une nouvelle page du film de mafia s’est tournée, il y a plus de 10 ans après ce Gomorra ? Deux débuts de réponse :
D’abord, la série éponyme adaptée de son univers, tout aussi clinique, remporte un vif succès au point qu’on lui reproche une apologie trop complaisante du crime organisé. Reproche également fait à la non moins remarquable série Netflix, Narcos, à l’écriture comparable et documentée par l’insertion d’images d’archives.
L’autre point de la réponse vient tout simplement de l’ouverture du film Gomorra, avec sa rapide scène de règlement de compte à l’esthétique bleutée et soignée. C’est la seule séquence « stylisée ». Un symbolique contrat sur Scorsese et Coppola, et toute autre représentation trop hollywoodienne, que Matteo Garrone exécuterait ? Probable, parce que Gomorra « est » la mafia.
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