Prismes
Le 2 septembre 2011
Le premier long-métrage de Jean Grémillon est un chef-d’oeuvre du cinéma impressionniste. Il fait déjà entendre le lyrisme intense et limpide propre au cinéaste, un des deux ou trois très, très grands du cinéma français.
- Réalisateur : Jean Grémillon
- Acteurs : Charles Dullin, Génica Athanasiou, Annabella, Roger Karl, Geymond Vital, Edmond Beauchamp
- Genre : Drame, Film muet
- Durée : 1h25mn
- Date de sortie : 14 septembre 1928
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Le premier long-métrage de Jean Grémillon est un chef-d’oeuvre du cinéma impressionniste. Il fait déjà entendre le lyrisme intense et limpide propre au cinéaste, un des deux ou trois très, très grands du cinéma français.
L’argument :Olivier Maldone est un fils de famille qui a choisi de tout quitter et de travailler sur les routes. Lors d’une fête locale, il tombe amoureux d’une jeune bohémienne, Zita. Quand son frère meurt, il rentre pourtant au bercail, hérite, se marie. Quelques années plus tard, il reste traversé par le souvenir de Zita et par la nostalgie de son existence vagabonde.
Il retrouve la jeune femme, devenue danseuse à succès dans un cabaret chic, mais elle lui fait vite comprendre qu’il n’est pour elle que le souvenir d’une vie révolue.
Notre avis : Des nombreux courts et moyens métrages que réalisa Jean Grémillon au début de sa carrière il semble que ne subsiste aujourd’hui qu’un fragment de 13 minutes du très beau documentaire consacré à Chartres (1923). Mais c’est Le tour au Large (1926), poème symphonique sur la campagne de pêche d’un thonier, qui attira l’attention sur le jeune cinéaste et amena Charles Dullin à lui confier la réalisation de Maldonne.
Le célèbre comédien, dont les rôles dans Le miracle des loups(1924) et Le joueur d’échecs(1926) avaient fait aussi une vedette de cinéma, avait crée la Société des films pour monter ce projet basé sur scénario (d’Alexandre Arnoux) inspiré de sa propre vie.
En effet la biographie d’Olivier Maldonne, fils de propriétaires terriens ayant rompu dans sa jeunesse avec son milieu bourgeois pour embrasser une existence aventureuse et précaire, n’est pas sans parenté avec celle de Dullin, devenu acteur contre la volonté paternelle.
La figure du héros, incapable de se se satisfaire d’une existence rangée, est bien sûr une métaphore de l’artiste, forcément en marge, mais c’est aussi une variante de la figure romantique du double. La diseuse de bonne aventure (jouée par son épouse Marcelle Dullin) qui lit dans sa main lui déclare : Ton ennemi est en toi.
Lorsque, décidé à reprendre sa vie aventureuse, il tire un coup de feu en direction de son reflet dans le miroir il ne s’écroulera pas comme l’Etudiant de Prague mais son conflit intérieur ne sera pas résolu. La bohémienne qu’il retrouve dans une boite de nuit chic, devenue danseuse à la mode, lui avait d’ailleurs fait comprendre que le retour en arrière était impossible (J’ai ma vie). Sa fuite sur une calèche, les chevaux lancés dans un galop effréné, ne lui apportera pas d’issue comme le montrera son visage hagard au dernier plan du film.
Le physique de Dullin ne le prédisposait pas à jouer ce héros tourmenté et charmeur, mais la justesse et l’évidence de son interprétation sont telles qu’elles balayent toute réserve. Il parvient à faire sentir l’inquiétude fiévreuse du personnage sans avoir besoin de les exprimer mais en jouant de son visage anguleux et de ses regards.
Le film épouse le plus souvent le point de vue du protagoniste, recourant volontiers à la caméra subjective, ce qui donne lieu à d’étourdissantes séquences dans la veine impressionniste du cinéma français d’avant-garde des années vingt, notamment de Jean Epstein ( L’auberge rouge). La plus impressionnante est celle du bal de village où Maldonne, à l’accordéon, entraîne les danseurs dans un tourbillon irrépressible. Le montage syncopé finit par ne plus laisser voir que des éclats de lumière. Malgré le noir et blanc on n’est pas loin des prismes de couleurs de la peinture des Delaunay.
L’accompagnement musical que Grémillon, lui même musicien, avait choisi pour accompagner Maldonne renforce ce côté impressionniste. C’est un assemblage d’extraits empruntés à Debussy, Satie et d’autres compositeurs français du début du vingtième siècle. Le langage cinématographique du cinéaste est totalement en phase avec cet univers musical aux couleurs si typiquement françaises.
Les partis pris formels très affirmés et la complexité d’un récit recourant aux flash-backs, au montage alterné, aux surimpressions étaient probablement plus marqués encore dans la version originale, d’une durée de deux heures, qui dérouta les spectateurs de la première le premier mars 1928 à la salle Pleyel. Le film sortit en septembre dans une version raccourcie d’un tiers, la seule qui subsiste aujourd’hui.
Mais plus encore que l’éblouissante inventivité formelle, jamais gratuite, et l’élégance des décors d’André Barsacq dans les scènes d’intérieur photographiées en studio à Billancourt par George Périnal, c’est l’ancrage réaliste, essentiel chez Grémillon, qui fait le prix inestimable du film. Le travail du roulier ou celui des journaliers dans les scènes de moisson tournées en Savoie sont filmés avec une précision documentaire qu’on retrouvera dans toute l’oeuvre du cinéaste. Quant aux acteurs de la troupe de l’atelier, ils ne se distinguent pas des figurants non professionnels et dégagent la même impression d’authenticité des gestes et des attitudes.
C’est Christian Matras qui était le chef opérateur (non crédité) de ces scènes tournées en extérieur dont la splendeur happe dès les premiers plans : blancheur aveuglante des chemins de halage au bord du canal de Briare, défilé d’arbres au feuillage frémissant, ciel d’orage : tout cela est d’une beauté saisissante qu’une heureuse restauration effectuée il y a quelques années par les Archives du film permet d’apprécier pleinement.
Le lyrisme intense mais si peu ostentatoire de Grémillon a déjà atteint sa limpide plénitude dans ce film de 1927. Maldonne est tout à fait digne de ses chefs-d’oeuvres ultérieurs, La petite Lise, Gueule d’amour, Remorques, Le ciel est à vous ou l’amour d’une femme.
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