L’auberge rouge (1923) - la critique

La première œuvre de Jean Epstein, maître de l’Impressionnisme français.

L’argument : En 1825, un banquier parisien donne un dîner pour son fils André et sa fiancée Victorine. Celle-ci est accompagnée par son oncle Jean-Frédéric Taillefer, ancien fournisseur des armées impériales. Parmi les invités se trouve le riche marchand Herman, qui raconte une histoire arrivée en 1799.
Une nuit pluvieuse d’octobre, en Alsace, deux jeunes médecins ont été contraints de s’arrêter dans une auberge....

Notre avis : Réalisé en 1923 L’auberge rouge est le premier long métrage de Jean Epstein. L’argument est basé sur une nouvelle de Balzac et s’articule autour d’un fait divers sanglant doublé d’une erreur judiciaire. Le récit est déroulé sur le mode du retour en arrière, les parties 1825 et 1799 occupant chacune à peu près la moitié du métrage mais avec plusieurs allers et retours.

Epstein 1923 : L’auberge Rouge

L’action-cadre 1825 nous transporte dans le monde de luxe et d’opulence d’un salon parisien. Le noir et blanc très contrasté de la photo magnifie le travail du costumier : habits noirs et jabots blancs pour les messieurs et, pour les dames, amples robes blanches à crinolines qui se fraient un chemin en se poussant mutuellement, aigrettes dans les cheveux, colliers de perles... Le décor est encombré de meubles, la table surchargée de mets comme dans une nature morte du 17ème siècle (en particulier un impressionnant plateau de fruits). La caméra tourne autour de la table, très près, de sorte que les visages - incroyablement expressifs malgré un jeu d’acteur des plus retenus - et les objets sont comme précipités vers le spectateur qui lui même est happé par un flux narratif irrésistible.
Dans la partie 1799, les extérieurs sont noyés dans une pluie diluvienne puis, plus tard, des champs labourés lourds d’eau attachent au sol les personnages. L’intérieur de l’auberge où une assemblée hétéroclite s’est réfugiée pour échapper à la tempête est encore plus encombrée que le salon de 1825, les personnages y étant littéralement entassés. Là aussi, le gros plan règne en maître : objets, mais surtout visages qui écoutent et visages qui racontent. L’atmosphère est fébrile et le récit lorgne plus d’une fois vers le fantastique, par exemple lorsque surgit entre les convives le visage d’une vieille cartomancienne qui, l’image devenue floue puis retrouvant sa netteté, se transforme en tête de mort.

Epstein 1923 : L’auberge Rouge

Epstein, maître de l’école " impressionniste " française expérimente ici un travail sur le net et le flou qu’il développera dans ses films ultérieurs. Celui-ci annonce à la fois sa veine « expérimentale » : La glace à trois faces, La chute de la maison Usher et l’autre, plus feuilletonnesque et populaire, dont les plus beaux fleurons sont Les aventures de Robert Macaire et Mauprat .
Mais la qualité atmosphérique - météorologique - qui fait le prix de son cinéma est déjà toute entière dans cette première œuvre admirable et captivante.