Littérature francophone
Le 17 septembre 2002
Une fiction intime qui pousse loin les limites de la mutilation insidieuse.
- Auteur : Eliette Abecassis
- Editeur : Le livre de poche
- Date de sortie : 4 février 2004
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Abécassis rentre là où on ne l’attendait pas : dans une fiction intime qui pousse loin les limites de la mutilation insidieuse. Une enfant se brise sur un mythe qui a la peau dure, l’amour infini et bienfaisant du père pour sa petite. Lâcheté, mystère, erreurs, quel que soit le passé du père, cela devient anecdotique quand se révèlent les cassures de celle qui lui survit.
Elle, Héléna, vivait pour lui. Son père, mort. Elle a cessé d’exister à cause de lui. Parce qu’il l’a quittée. Comme on rompt une histoire d’amour, il l’a quittée. Mais la lettre de Paul M. arrive, le fils aîné abandonné, le frère insoupçonné. Et avec elle, la quête de l’absent et des identités face à la figure paternelle. De cette "lutte souterraine entre le frère et la sœur pour l’amour du père" provient un bouleversement de vérité.
Mon Père sonde les tréfonds d’un lien filial passionnel, d’une relation phagocytante aux allures d’inceste. "C’est ainsi que je le voyais, et c’est pourquoi je n’ai pas pleuré lorsqu’il est mort, car en moi il était vivant, si vivant que je n’existais plus que par sa présence, si vivante que lui, qui était mort, était plus réel que moi : j’étais devenue mon père." La souffrance règne. Celle de l’absence, croit-on. Puis l’insanité se dévoile aux rythmes des "mon père" adorateurs et incantatoires, au fil d’un soliloque obsessionnel, d’un huis-clos verbal, d’une litanie de plus en plus vaine et morbide. "Lorsque j’ai eu 15 ans, j’ai décidé que le sens de ma vie serait mon père." La jeune romancière singe à merveille dans ces quelques 137 pages une logorrhée maladive et éperdue. L’attachement indéfectible d’Héléna pour son père en fait une possédée, otage emprisonnée par manipulation, aliénée par la folie de son géniteur omnipotent. "Mon père était l’alpha et l’oméga." Jusqu’à ce qu’elle soit destituée de ses rôles de fille, fils, disciple... et que "mon père" devienne "son père". Car celui-ci ne peut être que le père d’un seul.
Des thrillers théologiques de la normalienne agrégée de philosophie subsiste une quête existentielle angoissante quoique plus individuelle et une noirceur toute brodée de cruauté. De sa merveilleuse Répudiée, demeure en arrière-fond la question de la judaïté au féminin : le lien de la femme au patriarche, la lignée des pères, et ici, en plus, sournoisement, les relents destructeurs de l’antisémitisme en Europe. Mon père s’en va sans laisser derrière lui le moindre espoir. Le seul credo qui retentisse est celui de la bafouée dans le déni de soi. Et tant pis pour la vie.
Eliette Abécassis, Mon père, Albin Michel, 2002, 137 pages, 12 €
– Pour aller plus loin sur le thème de l’amour filial, lire nos critiques des romans de Véronique Olmi, Numéro six et de Laurence Tardieu, Comme un père
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