Le 30 mai 2020
Mêlant fantastique suggestif et étude de mœurs implacable, cette œuvre maîtrisée confirme le savoir-faire de Joachim Trier.
- Réalisateur : Joachim Trier
- Acteurs : Ellen Dorrit Petersen, Henrik Rafaelsen, Eili Harboe, Okay Kaya
- Genre : Drame, Fantastique, LGBTQIA+
- Nationalité : Norvégien
- Distributeur : Le Pacte
- Durée : 1h56mn
- Date télé : 8 novembre 2021 22:55
- Chaîne : Arte
- Date de sortie : 22 novembre 2017
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Résumé : Thelma, une jeune et timide étudiante, vient de quitter la maison de ses très dévots parents, située sur la côte ouest de la Norvège, pour aller étudier dans une université d’Oslo. Là, elle se sent irrésistiblement et secrètement attirée par la très belle Anja. Tout semble se passer plutôt bien mais elle fait un jour à la bibliothèque une crise d’épilepsie d’une violence inouïe. Peu à peu, Thelma se sent submergée par l’intensité de ses sentiments pour Anja, qu’elle n’ose avouer - pas même à elle-même, et devient la proie de crises de plus en plus fréquentes et paroxystiques. Il devient bientôt évident que ces attaques sont en réalité le symptôme de facultés surnaturelles et dangereuses. Thelma se retrouve alors confrontée à son passé, lourd des tragiques implications de ces pouvoirs...
Critique : Thelma pourra sembler trancher avec la veine réaliste de Joachim Trier, surtout connu en France pour Oslo, 31 août, seconde adaptation du Feu follet de Drieu la Rochelle ; et Back Home, sélectionné à Cannes en 2015. En apparence seulement, car on retrouve une constante dans son cinéma : le goût pour des personnages solitaires et perturbés, rattrapés par un passé qui les ronge, ou l’obsession de la mort chez des êtres en borderline. Mais il est clair que Joachim Trier ne s’est pas livré à un portrait ethnologique de la cellule familiale norvégienne ou de la communauté universitaire. On trouvera pourtant une critique sans concessions de l’obscurantisme religieux, à travers le personnage du père, rigide et possessif, qui semble faire écho, en mode plus sobre, à la figure d’illuminée naguère incarnée par Piper Laurie dans Carrie au bal du Diable de Brian De Palma : les bondieuseries névrotiques des parents laisseraient-elles des séquelles sur leur progéniture ?
- Copyright Motlys AS
La réponse affirmative semble également évidente aux yeux du réalisateur qui utilise la connotation religieuse pour mieux explorer le genre du fantastique, une démarche qui fut d’ailleurs celle de De Palma mais aussi du Friedkin de L’Exorciste. Mais ce sont là de simples références, et l’on aurait tort de limiter le projet du réalisateur à un pur exercice de cinéphile, même si d’autres influences l’ont indiscutablement marqué (du Hitchcock de Marnie au cinéma de l’incommunicabilité d’Antonioni, en passant par Cronenberg ou Jacques Tourneur). Thelma frappe par son scénario subtil, tantôt elliptique, tantôt explicatif, récit d’apprentissage dans lequel les phénomènes paranormaux que génère l’héroïne traduisent les effets d’une répression. La description du milieu médical, froide et technique, mène un temps sur la piste de l’explication rationnelle des phénomènes étranges, car si les crises psychogènes non épileptiques (trouble manifeste de Thelma) existent réellement, elles n’ont aucun lien avec le surnaturel : loin de contourner son sujet et de ne pas assumer son caractère horrifique, Joachim Trier est habile dans l’art des faux-semblants et des effets en trompe-l’œil, sans se la jouer malin pour autant.
Mais l’autre qualité du métrage est son travail plastique, sans surenchère visuelle ou sonore, ni esbroufe dans les effets spéciaux, la composition des images et leur symbolique évoquant la tradition des contes gothiques nordiques du XIXe siècle, où il était question du rapport de l’homme à la nature : « On a des plans d’oiseaux et de serpents, du vent et de la mer […] Je voulais mettre en contraste l’urbanité et la nature à un degré supérieur à ce que j’avais fait par le passé », a précisé Joachim Trier. Loin de détourner l’attention du spectateur, ces éléments renforcent l’impact émotionnel de la narration, et le réalisateur est ici bien épaulé par Jacob Ihre, son fidèle directeur de la photo, notamment dans l’utilisation pertinente du Scope. Un mot enfin pour la révélation d’Eli Harboe dans le rôle-titre : alliant le magnétisme d’une Nastassja Kinski et la grâce de Julie Delpy, elle se tire avec honneur d’une composition difficile, évitant de surjouer les scènes de convulsions et spasmes, et établissant une réelle complicité avec la caméra.
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