Littérature francophone
Le 30 octobre 2002
Un roman bref et rugueux sur les rapports entre les générations, analyse bouleversante et pudique des ressorts de l’amour filial dans une traversée de la France bourgeoise et catholique du siècle que nous venons de quitter.
- Auteur : Véronique Olmi
- Editeur : Actes Sud
- Genre : Roman & fiction
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Le chapitre d’ouverture de Numéro six, second roman de Véronique Olmi, renvoie au titre du premier, Bord de mer. C’est sur la plage qu’on fait la connaissance de la famille Delbast, père médecin, amoureux de sa femme, une flopée d’enfants comme il est de mise dans ce milieu catholique et bourgeois des années 50. Photo de famille sur laquelle la narratrice, la petite dernière, ne figure pas. A-t-elle voulu se perdre ou n’était-ce qu’un jeu d’avancer dans l’eau jusqu’à ce que soit englouti le chapeau bleu qui allait si bien avec sa robe ? Le père sauve sa fille de la noyade mais ne lui porte pas plus d’intérêt, oublieux même de son prénom, Fanny. Elle n’est que Numéro six, la perdante, l’invisible, celle qui est arrivée trop tard.
Après cinquante ans d’une vie ponctuée d’échecs sentimentaux et professionnels, Fanny, mère d’une Agathe de quinze ans, se remémore en allers-retours zigzagants l’amour à sens unique qu’elle a voué, qu’elle voue toujours à son père maintenant presque centenaire. Celui qui a "baissé le rideau" à la mort de sa femme alors qu’elle, sa fille, était prête à prendre la relève, à amorcer le début de leur histoire. Mais il est trop tard.
Constat désespéré sur les rapports entre les générations et pourtant nul reproche à l’égard du géniteur. Un chant d’amour brut remontant à la Grande Guerre si lointaine, au soldat Delbast, celui qui signait "votre petit Louis" ses lettres aux détails terribles dans leur insignifiance, qu’elle relit sans trêve. Vaine recherche de sens. Vains retours sur cette traversée du siècle. La Seconde guerre où le père "n’a rien fait de mal. C’est quoi, ne rien faire de mal, en 1940. Ne rien faire. Rien." Père peu glorieux, raciste, antisémite, colonialiste, se désintéressant à ce point de sa fille qu’il la fait soigner par un confrère ou capable de la faire marcher pied nus sur un sentier caillouteux. Amoncellement de douleurs minuscules ou énormes qui ne changent rien à l’affaire. Elle l’admire, elle l’idéalise, elle le grandit, elle en fait une sorte de demi-dieu. Il lui a pourtant cadenassé sa vie. Un thème que creuse et recreuse Véronique Olmi, dramaturge également et auteur du magnifique Jardin des apparences [1], variation au seuil de la mort sur un tyran domestique, maître des lieux et de ses filles.
Numéro six, impitoyable autopsie de l’amour filial. Prose laconique et raboteuse, sobriété déchirante, cent quatre pages de brefs tableaux sans aucun pathos, d’une authenticité, d’un réalisme et d’une universalité à vous tordre le cœur.
Véronique Olmi, Numéro six, Actes Sud, 2002, 104 pages, 11 €
[1] Le jardin des apparences, publié chez Actes Sud Papiers, a valu à Jean-Paul Roussillon le Molière 2002 du meilleur acteur dans le rôle du patriarche
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