Le 1er mai 2024
Maurice est une de ces œuvres sur laquelle l’on ne peut pas poser de mots. James Ivory s’exprime et se questionne sur l’identité, la place du dogme dans la civilisation anglaise du début du XXème siècle et, dans une dimension plus névralgique, sur la psyché humaine. Un chef-d’œuvre, assurément.
- Réalisateur : James Ivory
- Acteurs : Hugh Grant, Denholm Elliott, Helena Bonham Carter, James Wilby, Barry Foster, Simon Callow, Judy Parfitt, Rupert Graves
- Genre : Drame, Romance, LGBTQIA+, Drame social, Drame historique
- Nationalité : Britannique
- Durée : 2h10mn
- VOD : Universciné
- Date télé : 25 octobre 2021 20:55
- Chaîne : Arte
- Titre original : Maurice
- Date de sortie : 9 décembre 1987
- Festival : Festival de Venise 1987
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Résumé : Début du XXIe siècle. Maurice, un jeune bourgeois londonien, intelligent et sensible, se lie d’une tendre amitié avec un de ses condisciples, Clive. Des sentiments qui se transforment peu à peu en amour, mais dans la société victorienne, l’homosexualité, considérée comme pêché, est passible de prison. Afin de pouvoir assumer sa différence et s’épanouir enfin, Maurice devra affronter de nombreux tourments.
Critique : Maurice, d’après le roman éponyme d’Edward Morgan Forster, garde une place à part dans la filmographie si complexe et délicieusement surannée de James Ivory, probablement le cinéaste américain le plus attaché à l’Angleterre que le monde ait jamais porté. Détenteur du Lion d’argent et de la Coupe Volpi de la meilleure interprétation masculine pour James Wilby à la Mostra de Venise, Maurice a été pour Ivory l’heure de la reconnaissance internationale, après Chambre avec vue. Et bien que la bénédiction cinématographique fût tardive, Ivory n’a jamais cessé dans sa volonté inébranlable de construire une œuvre bouleversante, universelle et sensitive sur l’être refoulé, meurtri, opprimé par un régime royaliste, tellement persuadé de sa bien-pensance, sa doctrine, son idéologie, sa vérité, qu’il en oublie les répercussions sur l’individu. Le réalisateur a tour à tour dépeint la société londonienne, cloîtrée et moribonde, de la première moitié du XXe siècle dans Chambre avec vue, Retour à Howards End et Les Vestiges du jour, pour ne citer que les plus célèbres, mais Maurice demeure sa démonstration la plus brillante, une quintessence stylistique qu’il ne retrouvera plus.
Il est bien aidé par une distribution irréprochable, James Wilby et Hugh Grant en tête, tous deux absolument remarquables compte tenu de leur jeune âge, se révélant peu à peu deux faces d’une même pièce, l’un représentant peu ou prou la continuité d’un héritage familial et autocratique, se reposant sur ses acquis, l’autre symbolisant la révolution sexuelle et culturelle avorté d’un ancien monde qui s’apprête, sans le savoir, à entrer dans le premier conflit mondial, le film se clôturant intelligemment sur une certaine amertume, une nostalgie innommable.
Le long-métrage captive et surprend continuellement, loin du récit balisé auquel le genre peut se conformer. À une époque où l’homosexualité était toujours passible de la peine de mort et moralement condamnable, Maurice montre avec une infinie dévotion la difficulté de la vivre dans cet univers conformiste et répressif qu’est l’Angleterre d’Édouard VII. Toute la tragédie de ce rapport de force inévitable entre bourgeoisie, aristocratie et bonnes gens relève de l’indicible, comme une déflagration de violence psychologique dont l’origine serait ancrée dans la civilisation même.
Parfait représentant de la période dite victorienne, élevé dans les valeurs traditionnelles, porté sur la littérature et la théologie, soucieux de ne rien commettre de fallacieux et d’irréparable dont il puisse être accusé, Maurice découvre la vérité, sa vérité, grâce à la déclaration de Clive, ce même homme qui se ravisera sur ses sentiments et lui causera toute une vie de souffrance : « j’aurais vécu une vie de larve si vous ne m’aviez réveillé », lui-dit-il non sans passion. Finalement, malgré des trajectoires différentes pour chacun de nous, l’Homme n’est jamais plus beau que lorsqu’il fait un choix. Clive sacrifiera son bonheur et choisira la sécurité, comme une marionnette corsetée par les conventions, par peur qu’un scandale éclate. Là encore, jamais le film ne jugera ses personnages. Ivory laisse virevolter ses protagonistes, les fait libérer du cadre pour mieux exister.
Le dernier plan épouse le regard de Clive, alors au rebord de la fenêtre de sa chambre, après avoir entrelacé sans passion sa compagne cadavérique. Il contemple ses souvenirs, alors que surgit le spectre de Maurice, tel qu’il l’avait connu à Cambridge il y a quelques années. À l’instar du majordome James Stevens dans Les Vestiges du jour, il pose le constat amer d’un gâchis d’une existence au service de la normalité. Maurice, lui, a brisé sa prison de marbre et a pu éclore. Une conclusion romantique certes, mais le sous-texte, lui, brille de mille feux.
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