Passion Abolie
Le 29 mars 2021
Les Vestiges du jour demeure un pur objet de fascination sur la passion abolie. Le portrait pathétique d’un homme, dernier représentant d’un ordre social disparu, qui sacrifiera jusqu’à sa vie pour son devoir domestique. Une obsédante crise existentielle signée James Ivory.
- Réalisateur : James Ivory
- Acteurs : Anthony Hopkins, Tim Pigott-Smith, Hugh Grant, Christopher Reeve, Emma Thompson, Michael Lonsdale, Lena Headey, James Fox, John Savident
- Genre : Drame, Romance, Drame social, Drame historique
- Nationalité : Américain, Britannique
- Distributeur : Gaumont Columbia Tristar Films
- Durée : 2h15mn
- VOD : YouTube, MyCanalVOD, Orange, PlayStore
- Date télé : 28 octobre 2022 21:00
- Chaîne : France 5
- Titre original : The Remains of The Day
- Date de sortie : 23 février 1994
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Résumé : Stevens est depuis toujours un majordome exemplaire au service de Darlington Hall. Il décide enfin de s’accorder quelques congés. C’est l’occasion pour lui de se remémorer son passé et ses vieux souvenirs qu’il avait enfouis jusqu’ici. Lui revient alors dans l’esprit qu’un jour, il poussa jadis la femme de sa vie dans les bras d’un autre. Aujourd’hui est venu le temps des remords.
Critique : Retrouvant les interprètes de son précédent film, Retour à Howards End, le cinéaste du raffinement par excellence, James Ivory, adapte le roman éponyme de Kazuo Ishiguro au sein de la sempiternelle société anglaise sclérosée, comme figée dans le temps, à mi-chemin entre le cloisonnement psychologique du personnage de Lucy Honeychurch de Chambre avec vue et la spirale infernale du rapport de classes induit dans Retour à Howards End. Sous la préciosité de la mise en scène, se profile une œuvre poignante et terriblement nostalgique sur le renoncement de son moi véritable et l’inextinguible passion amoureuse. James Ivory, probablement le cinéaste américain le plus attaché à l’Angleterre que le monde ait jamais porté, n’a jamais cessé de dépeindre avec une précision admirable l’individu refoulé, meurtri, opprimé par un ordre social fascisant, ivre de ses idéologies qu’il en oublie les répercussions sur l’humain. Les Vestiges du jour, œuvre somme d’un cinéaste à l’apogée de sa carrière, se concentre donc sur le portrait de M. Stevens, un majordome, régent du domaine de Darlington Hall, métaphore tangible et quantifiable de la fuite immuable du temps. L’amour, en la personne de Miss Kenton, la nouvelle gouvernante, apparaît dès lors comme un désordre, une anomalie qu’il faudra contenir, au risque de faire chavirer son devoir moral.
Ce qui constitue la richesse infinie des Vestiges du jour, c’est sa capacité à brosser le portrait d’un homme prisonnier des conventions sociales, sacrifiant sa vie sur l’autel de son devoir domestique, sans une once de jugement, préférant le suivre affectueusement dans ses pérégrinations dédaliques plutôt que de réaliser un simulacre de procès d’intention, envers un homme en apparence dénué d’émotions et ayant un penchant non négligeable pour le sadisme ostentatoire. En réalité, Stevens est un être terriblement pathétique, inconscient du caractère sacrificiel qu’implique sa vocation. L’inextricable crise existentielle qu’il ressentira à l’heure des remords, au crépuscule de sa vie, entretiendra de fait le témoignage saisissant de l’agonie de l’aristocratie britannique, autant que l’ensevelissement certain d’un passé désormais révolu. Anthony Hopkins livre une interprétation remarquable, puisant dans son personnage, arrivant à déceler au plus profond de sa psyché tourmentée et ainsi à générer une empathie pathologique qui laisse le spectateur le plus averti dans un état de stase rarement ressenti au cinéma.
Au sein de ce mausolée où deux âmes perdues aiment errer, grandeur et décadence s’entrechoquent, la pesanteur de l’étiquette se dilue dans le silence éternel, pour mieux faire ressortir le commentaire social sur la soumission répressive et le rapport de domination. Les Vestiges du jour, à l’image de son personnage torturé, est une énigme absconse autant qu’une mosaïque de secrets inavouables et de luttes intérieures : celles-ci alimentent la bâtisse qui se craquelle de toutes parts. James Ivory trouve ici la quintessence de son art et signe avec ce film un chef-d’œuvre absolu.
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