Littérature
Le 18 juin 2002
Un subtil assemblage de miroirs décalés et remboîtés qui dessine une très pénétrante géographie de la création au féminin.
- Auteur : Cristina Comencini
- Editeur : Verdier
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Italienne
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D’un côté du magnétophone, Antonia, sculpteur de renom enfouie dans sa graisse comme un "éléphant en boîte". De l’autre, Chiara, jeune mère de famille, biographe de son état, romancière frustrée. Entre elles, un rapport de répulsion/identification.
Par lambeaux épars, livrant ce qu’elle veut bien livrer sur un ton de confidence teinté de mépris pour son interlocutrice, Antonia évoque son passé, la petite fille qu’elle était, avide d’amour maternel, plus tard la femme pleine d’ardeur, arrachant à la matière des fragments de corps sculptés. Ainsi surgissent ses différentes incarnations, telles des poupées gigognes, l’une recouvrant et enrobant l’autre au cours du temps.
Luttant contre l’antipathie qui la gagne, Chiara tente de percer l’essentiel de cette artiste malade, âgée, camouflée derrière un paravent de graisse indécent et pathétique. Au fur et à mesure de sa quête de la vérité d’Antonia, c’est à la sienne propre que Chiara est confrontée : qu’est-elle en train de faire de sa vie ? Un mari, des enfants, un boulot de biographe scrupuleuse. De son renoncement à l’écriture créatrice dépendrait la survie des siens... Croit-elle, empêtrée sans sa culpabilité.
Aux souvenirs d’Antonia, l’enfance de Chiara fait écho pianissimo, puis se met à résonner de manière assourdissante, lorsque surgissent des coïncidences effrayantes : un prénom, une chemise de nuit en dentelle. "Mais la vie, encore plus que la littérature, est pleine de chemises qui volent d’une femme à l’autre ; chemises, tapis, parfums, saveurs, se déplacent en tous sens." Non, il ne s’agit pas de coïncidences. Plutôt de signes décryptés à l’insu de Chiara dans un jeu de piste où elle ignorait s’être engagée et qui la mènera au déclic des premières pages d’un roman et, avec un raffinement de construction diabolique, au roman tout entier intitulé Matriochka, celui à la couverture orange que vous, lecteurs, tenez dans vos mains.
Roman du va-et-vient de la mémoire où scintillent de magnifiques et poignantes pages sur l’enfance, roman au ton empreint de douceur nostalgique, à l’écriture contenue et vaporeuse, bâti dans un mouvement d’aspiration et de transvasement, Matriochka, histoire d’une "contamination", confirme le talent d’une des voix les plus personnelles de la riche littérature italienne d’aujourd’hui [1].
Cristina Comencini, Matriochka (traduit de l’italien par Carole Walter), Verdier, 2002, 188 pages, 15 €
[1] Trois autres romans de Cristina Comencini ont été traduits précédemment en français, Sœurs, Les pages arrachées et Passion de famille, tous publiés chez Verdier
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