Le 2 janvier 2019
Sur fond d’attentats terroristes, le premier roman d’Anne Hansen dénonce par l’exemple la violence de la logique néo-libérale qui, elle aussi, fait des morts.
- Editeur : Les Editions du Rocher
- Date de sortie : 5 septembre 2018
- Plus d'informations : Le site officiel
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Date de parution : 05/09/2018
Résumé : « Trois semaines auparavant, cent cinquante personnes avaient été massacrées dans la Ville. Pour rien et par hasard. » Charles Blanchot, cadre supérieur dans l’Entreprise, est responsable d’un projet de réorganisation. Élément prometteur et zélé, il s’élève dans la hiérarchie grâce à ses projets réformateurs. Des progrès qui précèdent une chute tout aussi rapide, dévoilant une violence réelle et quotidienne. C’est le roman d’une décomposition et d’un forfait, celui de la violence qui écrase un salarié sous les regards de ses semblables, témoins impuissants ou indifférents jusqu’au désastre final. L’histoire de Charles est une comédie, celle tragique des gens ordinaires, lorsqu’ils s’essaient au combat.
Notre avis : Dans Massacre, il y a deux couches. Comme dans les meilleurs chewing-gums. Premier niveau : le contexte socio-politique, celui des attentats de 2015, de la légitime émotion qu’ils ont provoqués, mais aussi de l’injonction unanimiste. Qui ne se rappelle pas l’inénarrable Nathalie Saint-Cricq n’est pas français. Soudainement convertie aux vertus de la gaudriole libertaire, la journaliste de France 2 avait argué de son expertise clairvoyante pour lancer son appel, en plein journal, exigeant le repérage des anti-Charlie et leur identification, ça va de soi. Michel Foucault en aurait fait son miel. Anne Hansen, quant à elle, note sobrement : "L’une des conséquences des massacres était qu’il avait fallu choisir son camp."
Cette France d’un gros mois, où l’on devait se justifier de ne pas adhérer au djihadisme si l’on n’aimait pas l’hebdomadaire satirique, est le cadre du récit qui va se déployer. Sous tension, évidemment. Le texte décrit très bien cette atmosphère de Patriot Act, sauce européenne : "le parti de l’Ordre, refuge déshonorant des Hommes modernes impuissants, entrait comme la fouille de l’intimité des sacs à main et le couvre-feu dans leur champ de possibles.".
Cleanup time, aurait chanté Lennon. Ici, dans ce récit, on ripoline la morale à peu de frais, les citoyens exhibent leur sentiment républicain à tous les coins de rue et dans toutes les situations, on repère les hérétiques, on les ramène dans le droit chemin. C’est sans doute à ce prix qu’un "vivre-ensemble" s’avère possible. Oui, on fait chorus à la délicieuse ironie que distillent certains passages, surtout quand on connaît les victimes de cette chasse aux sorcières, menée, évidemment, par des gens qui incarnent le Bien : "dans le bus, une dame appartenant à une minorité ethnique ne se fâcha pas quand une autre passagère lui reprocha injustement de lui avoir marché sur le pied, et lâcha un "excusez-moi" qui aurait pu être un "vive la République !".
Souvent, le texte prend des nouvelles de la Ville et du Monde, sans doute réduites par le biais des majuscules allégoriques. C’est le problème des récits dystopiques : tout y est peint à gros traits, mais on ne se plaindra pas que le propos bascule du côté du réalisme sarcastique. Il nous fallait bien cela, après avoir été noyés sous les grandes eaux sermonneuses, beaucoup entonnant alors l’air du grand peuple civilisé et irréprochable. L’oeuvre répertorie la longue liste de ceux qui, en cette période, avaient des slogans à défendre, à peu près les mêmes d’ailleurs, liberté, égalité, fraternité, ces beaux concepts qui ne sont rien s’ils ne restent qu’à l’état de pensées magiques : "Tout ce qui comptait d’artistes, comédiens, rappeurs, auteurs plus ou moins best-sellerisés, admonestaient la population". Oui, il flottait en ce temps-là comme un parfum de menaces. Que le récit convertit en un puant bouquet fleuri : dans une scène spectaculaire et crue, la meute de quelques braves gens, citoyens insoupçonnables, enfants naturels de la Révolution Française, s’acharne sur des quidams qui n’ont ni l’air d’être européens, ni l’air d’être innocents. Il suffira que ces derniers se rebellent verbalement pour apprendre qu’ils sont au pays des Droits de l’Homme. Les assaillants pourront invoquer des circonstances exceptionnelles, on pensera plutôt à l’éternelle actualité du bouc émissaire cher à René Girard. Toujours le même refrain : s’acharner sur une communauté pour exorciser une situation entropique. On présume que les agresseurs auront auparavant défilé dans de magnifiques processions, calicots au vent, communiant avec ferveur, pensant retrouver, à travers la manifestation d’une sincère tristesse, le ciment d’une nation enfin rassemblée.
Mais, pour parvenir à une autre forme d’ignominie, il fallait bien une fusée à deux étages. Ou un second effet Kiss Cool. Peu importe : le goût demeure amer, surtout qu’il se double, non pas d’une description, mais d’une histoire en tout point édifiante, dont l’arrière-plan entrepreneurial constitue le théâtre sanglant. Ici, on est chez d’autres tueurs, mais pas de ceux qui assassinent aveuglément dans la pleine conscience de leur idées fanatiques. Plutôt des cols blancs. Un en particulier : Charles Blanchot, conforme jusqu’à la caricature à son pedigree de cadre supérieur, dévoué à l’Entreprise, qui n’a pas de nom et les a tous, sorte de Leviathan dévoreur de temps, d’ambition, énergie. Anne Hansen, à qui on le fait pas, délecte son verbe de quelques expressions du néo-management cool, ce cheval de Troie du libéralisme sauvage, à qui Louise Villiers, déléguée à la fausse bienveillance, option vessie pour des lanternes, rend les plus grands services, petite sœur de l’insupportable Catherine Tendron dans le dernier récit de François Bégaudeau, mais en plus mystique encore : "Elle faisait parfois le compte de ses bonnes actions, de ses médiocrités, de ses laideurs et se voyait en postulante, humble et tranquille, assurée de recevoir non pas les félicitations du Maître." Et tandis que dans l’ombre, un collaborateur du héros, s’apprête à le doubler sur la droite du cynisme, madame Blanchot continue d’indexer son affection d’épouse sur les performances de son valeureux mari.
Il faut lire le premier roman d’Anne Hansen, fort et vigoureux, qui ramène la question de la violence sociale au cœur du débat, nous montre que sa brutalité intrinsèque est aussi insoutenable que n’importe quel attentat djihadiste.
Parution : 05-09-2018
Les Editions du Rocher
216 pages, 14 x 1,5 x 19 cm
Copyright Les Editions du Rocher
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