Le 30 avril 2018
- Scénariste : Park Kun-woong>
- Dessinateur : Park Kun-woong
- Genre : Document, Historique
- Editeur : Rue de l’échiquier
Park Kun-woong livre un récit glaçant du massacre de la Ligue Bodo, un événement tragique au début de la guerre de Corée.
Adapté d’une nouvelle de Choi Yong-tak, qui signe la postface de l’ouvrage, Mémoires d’un frêne revient sur un épisode dramatique de la guerre de Corée : le massacre de Chongju, plus connu sous le nom de « massacre de la Ligue Bodo ». Une plongée dans l’enfer des hommes, avec un arbre pour narrateur.
Résumé : D’une lecture difficile compte-tenu de la gravité du sujet, Mémoires d’un frêne est un livre remarquable, doté d’une indéniable force graphique qui confronte le lecteur à la brutalité des hommes. Cette traduction bienvenue fera découvrir au lecteur francophone un événement important mais peu connu de la guerre de Corée.
La guerre de Corée est à Park Kun-woong ce que la Première Guerre Mondiale est à Jacques Tardi : un sujet historique vaste et traumatique, investi à de multiples reprises selon des perspectives différentes. Avec Mémoires d’un frêne, Park Kun-woong poursuit son exploration de la guerre de Corée entamée avec la magnifique fresque Fleurs (3 tomes chez Casterman) et Massacre au pont de No Gun Ri (Vertige Graphic). L’auteur choisit dans cet ouvrage de s’arrêter sur un événement terrible de la guerre de Corée : le massacre de la Ligue Bodo par les forces de la Corée du Sud. Un sujet encore aujourd’hui extrêmement délicat dans la péninsule coréenne.
En juin 1950, la Corée du Nord envahit le Sud, déclenchant la guerre de Corée (1950-1953) qui, avec ses 2 millions de victimes, constitue l’un des conflits les plus meurtriers de l’après Deuxième Guerre mondiale. Le gouvernement de Syngman Rhee ordonne au début de l’été l’exécution des membres de la "Ligue Bodo", ou ligue nationale d’orientation et de réhabilitation, dont les dirigeants sont d’anciens communistes "repentis" - mais toujours suspects – qui ont lancé une vaste campagne de recrutement de paysans, généralement peu politisés, juste après la proclamation de la république de Corée du Sud. La police et l’armée exécutent à la chaîne des dizaines de milliers de milliers de civils ; les historiens estiment que ces massacres ont fait entre 100 000 et 200 000 morts en tout. C’est de ce massacre dont il est question.
Originalité du récit : le narrateur est un frêne. Un moyen de prendre de la distance vis-à-vis de l’événement raconté - © Park Kun-woong / Rue de l’échiquier pour la traduction
Pour narrer cette tragédie, Park Kun-woong a recours à un narrateur aussi original que détaché : un frêne, témoin du massacre de quelques centaines de civils au fond d’une vallée. Le récit est d’une extrême violence, et rien n’est épargné au lecteur : ni la souffrance des victimes, ni le massacre et sa répétition sur plusieurs jours, ni la progressive décomposition des corps en proie à l’appétit des insectes, des rats et des chiens errants, ni la détresse des survivants qui pataugent dans l’immonde charnier à la recherche de la dépouille d’un proche. Cette distance du narrateur, qui ne s’embarrasse pas de morale et ne comprend pas le sens de ce qu’il voit, est un moyen pour l’auteur de questionner l’absurdité des actions humaines, en proie ici à la sauvagerie. Le dessin en noir et blanc est porté par un trait expressionniste qui déforme les visages en proie à l’angoisse, à la peur, à la souffrance. Les pages qui représentent le charnier plongeront le lecteur dans un profond malaise. Mais comment faire autrement, quand il s’agit de rendre compte de telles atrocités ?
La procession des prisonniers qui se rendent au fond de la vallée - © Park Kun-woong / Rue de l’échiquier pour la traduction
Mémoires d’un frêne ne traite pas la violence avec complaisance. Bien au contraire : le choix d’accorder une place centrale à la nature témoigne de la vacuité des hommes. Le charnier lui-même finit par disparaître sous les assauts du temps, une référence sans doute aux récentes redécouvertes des lieux de massacres, qui ont permis à cet événement de refaire surface dans l’actualité coréenne et de questionner l’attitude de la Corée du Sud dans ce conflit. Un seul bémol dans l’édition, par ailleurs très soignée : si la postface de l’écrivain de la nouvelle et du dessinateur sont tout à fait intéressants, on était en droit d’attendre une contextualisation de l’événement un peu plus riche.
D’une lecture difficile compte-tenu de la gravité du sujet, Mémoires d’un frêne est un livre remarquable, doté d’une indéniable force graphique qui confronte le lecteur à la brutalité des hommes . Cette traduction bienvenue fera découvrir au lecteur francophone un événement important mais peu connu de la guerre de Corée.
Adaptée d’une nouvelle inédite de Choi Yong-tak
299 pages - 21,90€
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Galerie Photos
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