Margot la folle - La chronique BD

Dès les premières pages elle se hisse, elle prend vie et naissance de la vase.
Margot est seule dans un désert glauque, pauvre âme au milieu d’un paysage triste et morbide.
Le marais est son logis. Sa vie fantasque et surréaliste oscille entre sorcellerie et magie noire.
Cette pauvre fille survit de la vente de sa pêche d’anguilles sans comprendre les codes de la société dans laquelle elle a été parachutée.

Quand elle pense avoir enfin un moment de joie, elle se rend compte que l’Homme est fourbe par nature et après s’être fait voler son argent, elle use de sa magie pour redonner vie et contrôler les vilains qui l’entourent et ainsi se venger.
Humilier un cadavre est exquis pour cette Margot vieille avant même d’avoir connu une jeunesse.

C’est un récit noir, trash et perturbant, peuplé de mourants que Margot ressuscite et à l’instar de leur nouveau statut ces derniers produisent des mollusques.
Les cadavres respectent la tectonique des fluides : les trous se vident, se remplissent, les gueules régurgitent des huitres.
Paranoïa, violence, perversité, sentiments contradictoires, il y a toujours anguille sous roche pour Margot qui se prend pour un roc, se bat au jour le jour et dont le seul vrai contact avec la civilisation sera un fœtus.

Alors on se prend d’affection pour cette jeune femme naïve, malchanceuse au tempérament de feu et dont la condition féminine restera finalement la même pour l’éternité puisque prisonnière d’un tableau : malmenée, traitée en sorcière, isolée…

Entrainée dans le tourbillon de la magie et du pouvoir, sa vie se fige en un mouvement perpétuel comme l’anguille qui s’enroule autour de sa proie et qui se mord finalement la queue.
Margot s’en retournera à son statut de sous-être misérable, usée et abusée.

Les illustrations de Dix sont aussi une plongée angoissante et ténébreuse dans l’univers de Jérôme Bosch bien sûr mais aussi de tous les peintres flamands de la période du XIVe et XVe siècle : Van Eyck, Christus ou encore De Beer.
Un ouvrage magnifiquement illustré malgré l’étrangeté du sujet et la dureté des pages, sur fond de défense féminine, mine de rien... Une interprétation tortueuse et décalée, moderne et vivante du tableau du maître Brueghel l’Ancien, très réussie.