La poursuite infernale
Le 24 mai 2024
Mad Max : Fury Road est bien la claque annoncée. Cette déflagration est telle qu’il pourrait bien s’agir du blockbuster cérébral le plus brillant de la décennie. Un trip postmoderne sous acide.
- Réalisateur : George Miller
- Acteurs : Charlize Theron, Tom Hardy, Hugh Keays-Byrne , Nicholas Hoult, Rosie Huntington-Whiteley, Zoë Kravitz, Abbey Lee, Josh Helman, Angus Sampson, Riley Keough, Nathan Jones, Richard Carter
- Genre : Science-fiction, Action, Western, Péplum, Post Nuke, Dystopie
- Nationalité : Américain, Australien
- Distributeur : Warner Bros. France
- Durée : 2h00mn
- Date télé : 10 octobre 2023 20:50
- Chaîne : Ciné+ Premier
- Date de sortie : 14 mai 2015
- Voir le dossier : Mad Max
- Festival : Festival de Cannes 2015
Résumé : Hanté par un lourd passé, Mad Max estime que le meilleur moyen de survivre est de rester seul. Il se retrouve toutefois malgré lui embarqué par une bande qui parcourt le {Wasteland} à bord d’un véhicule militaire piloté par l’Imperator Furiosa. Ils fuient la Citadelle où sévit le terrible Immortan Joe qui s’est fait voler un objet irremplaçable. Enragé, ce Seigneur de guerre envoie ses hommes pour traquer les rebelles impitoyablement…
- © 2015 Warner Bros. Tous droits réservés.
Critique : L’on a souvent écrit que les trois premiers volets de la saga Mad Max s’apparentaient à une critique au vitriol de la société contemporaine. Que les péripéties de Max étaient une façon pour George Miller de dénoncer les travers d’une Amérique viciée par le consumérisme. Que ce monde conjugué au crépuscule puis à la sauce apocalyptique singeait entre autres les risques de la course au pétrole. Bref, que Mad Max intégrait en somme le propre du récit d’anticipation ou de la science fiction. Mais il y avait pourtant, et ce dès le départ, chez le réalisateur australien - on l’oublie à tort - le désir de montrer une autre tragédie : plus intime. Dans Mad Max premier du nom, la famille de l’antihéros est certes victime des aigles de la route, mais c’est avant tout la trajectoire choisie par ce dernier qui détermine leur perte. Pire : c’est parce que Max le shérif décide de quitter son espace social d’origine, qu’il juge à la fois trop aliénant sur le plan professionnel et trop rangé en matière de relation conjugale, qu’il s’expose avec les siens au danger. À l’instar plus tard de Mumble dans Happy Feet ou Babe, le cochon dans la ville - deux autres personnages atypiques également créés par Miller -, ce flic rongé par le quotidien recherche un nouvel horizon, qu’il trouvera finalement en marge de son environnement. Au fond, le désir profond de Max correspond en tous points à ce à quoi il pense devoir s’opposer. La folie, la violence et la sexualité débridées des aigles de la route n’ont pas de nécessité spécifique dans le récit de Miller, excepté pour traduire la frustration de ce gardien de l’ordre et de la morale que l’on nomme aussi Road Warrior. À sa relation platonique avec sa compagne Jessie se heurtent ainsi les habitudes païennes et ô combien enviables des hors-la-loi. Afin d’exorciser ce manque, ne reste plus que la vitesse, les carambolages cathartiques et la mort. À noter qu’en adaptant Ballard avec Crash, David Cronenberg tiendra en substance des propos comparables quelques années plus tard, en reliant de nouveau pulsions libidinales inassouvies et crashs, plaisir et télescopage machinal-organique. C’est ainsi que George Miller a créé au fil des épisodes de sa saga comme une représentation mentale du refoulé, un ça s’avançant toutes mécaniques dehors. Un espace avec pour unique réalité la vélocité, le bruit des moteurs, le néant ensablé, la chaleur écrasante et les corps difformes se confondant à la taule froissée des véhicules.
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Toujours plus radical dans sa manière de dépeindre cet univers, George Miller n’a cessé de tendre vers l’abstraction la plus totale. À ce titre, Mad Max : Fury Road - bien plus qu’une simple mise à jour - atteint des sommets. Plus viscéral encore qu’à l’accoutumée, ce quatrième épisode a bénéficié d’un soin méticuleux en matière de focal. Abruptes, les transitions entre les échelles de plans sont une fois encore spectaculaires. Mais ce qui différencie probablement le long métrage des grosses productions contemporaines - outre ses paysages, ses bolides de bric et de broc et ses costumes ahurissants - sont ses chocs vertigineux. Parce que rien ici ou presque n’est ici travesti par des images de synthèse, le réel est donné à voir dans toute sa rugosité et sa tangibilité. D’où ces accidents prodigieux. Peut-être ces morceaux de chairs et de fer lancés à toute allure les uns contre les autres vont-ils sembler à certains un brin minimalistes. D’autant que la majeure partie du film est consacrée à une interminable course-poursuite - échappée qui ferait passer Terminator 2 et 3 pour des enfants de chœur. Mais c’est cette dimension conceptuelle qui intéresse Miller. La psychologie importe moins et les personnages sont réduits à des archétypes. L’impératrice Furiosa (Charlize Theron) fait immanquablement penser à Ripley dans Alien 3, voire aux personnages féminins d’Enki Bilal. Ce nouveau pas dans la saga est donc l’occasion pour le faiseur australien d’avancer un peu plus profondément dans la distorsion de la réalité. Ces explosions sont ainsi données à voir comme la poétisation d’un monde "libéré" des contraintes sociales. Et le paysage apocalyptique, le Wasteland , comme le miroir de la psyché malade du héros. Difficile de trouver métaphore plus virtuose. Dans une certaine mesure, Mad Max : Fury Road renoue avec la tradition western des débuts de la saga. Renégats crasseux, désert anonyme, quête rédemptrice... l’ouest postmoderne des Leone et Eastwood n’est pas loin. De tel sorte que le film a beau se passer pour certains en Australie, la mythologie capturée est avant tout américaine. Un environnement intangible où il est d’ailleurs largement question de... bagnoles. À propos, le film rappelle aussi que si Boulevard de la mort doit beaucoup à Russ Meyer et Vanishing Point, il n’existerait certainement pas sans Mad Max.
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L’espoir est un leurre, prévient Max-Tom Hardy, version boursouflée et désabusée du Max jadis interprété par Mel Gibson. Sans doute cette formule pourrait-elle résumer à elle seule Mad Max : Fury Road. Avec ses couleurs en nuances d’ocre, de gris et de bleu, toutes les scènes de ce quatrième volet ne cessent d’affirmer que la croyance en un monde meilleur n’est qu’une illusion. Quasi impressionnistes, les séquences de poursuite renvoient aux toiles de Turner, tandis que les passages plus tempérés convoquent le David Lean de Lawrence d’Arabie. Loin d’être indigeste, le cocktail est une réussite totale. Dommage toutefois que la musique composée par Junkie XL, qui lorgne parfois un peu trop sur les fâcheuses habitudes de Hans Zimmer, ne soit pas toujours à la hauteur. Mais il ne s’agit là que d’un détail infime. Les adeptes de jeux vidéo noteront par ailleurs que George Miller, figure influente du monde vidéoludique, n’a pas hésité à s’inspirer à son tour de ce dernier. Parmi les œuvres les plus évidentes ayant sans nul doute donné quelques idées au pôle direction artistique : Rage ou encore Borderlands. Ou comment rendre à César ce qui est à César.
Au bout du compte, Mad Max : Fury Road, qui mélange aussi bien le western que le péplum tout en s’accaparant les codes du film d’action classique, se révèle presque inclassable. Il prouve quoi qu’il en soit qu’un vétéran du genre peut toujours parvenir à réinventer une saga avec brio - n’en déplaise à Ridley Scott. Avec ce volet où Max semble enfin parvenir à prendre le dessus sur ses pulsions et inhibitions, une chose est sûre : jamais le sable, le sang ni la fureur des moteurs n’auront été fusionnés avec un tel savoir-faire. Un peu comme si tout ce que le cinéma de genre compte de déclinaisons se retrouvait passé au shaker et en ressortait sous un jour nouveau. C’est peut-être ça, le postmodernisme.
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MYTHOMANIAC 5 juin 2019
Mad Max : Fury Road - la critique du film
La version black et chrome a de grands moments. Le talent d’exposition de l’univers et des personnages. Je vais finir l’exploration des bonus