Le 26 novembre 2002

Une réflexion candide sur le pouvoir de l’image et des objets.
Qu’est-ce que l’art ? Éric-Emmanuel Schmitt se pose la question dans cet ouvrage qui s’inscrit en plein dans notre époque par une réflexion candide sur le pouvoir de l’image et des objets.
Tazio Firelli s’apprête à se jeter du haut d’une falaise lorsque la voiture de Zeus-Peter Lama s’arrête à ses côtés. Artiste contemporain à la notoriété internationale, ce dernier propose à Firelli un pacte insensé : renoncer à son suicide et transformer son corps en œuvre d’art. Firelli accepte, persuadé qu’il n’a, de toute façon, plus rien à perdre.
La demeure de Zeus-Peter Lama, située sur une île, est somptueuse et extravagante, à l’image de celui qui l’occupe. Avec l’aide d’un médecin, le créateur va modeler Firelli jusqu’à en faire un objet de curiosité. Unaniment salué par le milieu artistique, trimballé aux quatre coins du monde, Adam bis devient la marotte des férus d’art contemporain. Le seul détail que l’auteur n’a pas prévu est que, même devenue sujet de toutes les admirations, cette "statue vivante" a conservé la faculté de penser, de réfléchir et de parler.
Longue réflexion sur l’art contemporain, ce roman soulève également une éternelle question philosophique. Un individu instrumentalisé et manipulé garde-t-il un soupçon de conscience ? Aux yeux de son créateur, Adam bis incarne une œuvre incontournable, inégalable, majestueuse, qui demeure son objet. Firelli, dont l’esprit reste alerte, se sent "humain" avant tout, approuve cette conception artistique jusqu’au moment où il prend véritablement conscience de ne servir que la notoriété de celui qu’il considère comme son "bienfaiteur". En réalité, c’est parce que cette oeuvre est choquante qu’on l’admire, c’est parce que le public fait de la surenchère dans l’ignoble qu’Adam bis a un tel succès. Le corps, aussi idéalement sculpté soit-il, doit-il prendre le pas sur l’esprit ?
Schmitt s’interroge sur la société de l’apparence et de l’image dans laquelle priment l’éphémère, le voyeurisme et le matérialisme. Son message se veut sans ambiguïtés. Comme le personnage d’Hannibal, le peintre aveugle et misérable capable de transcrire sur une toile le bonheur que lui procure le souffle du vent, l’art ne doit en aucun cas se complaire dans l’artifice et la superficialité. La poésie et la sensibilité artistique découlent seulement des sentiments. Chercher la célébrité à tout prix s’apparente à une pure et simple escroquerie bannissant l’émotion et la sincérité. Lorsque j’étais une oeuvre d’art reflète la dualité latente entre l’art contemporain, incompréhensible et hermétique pour beaucoup, et la représentation picturale plus classique et plus accessible du simple objet.
Le déferlement de bons sentiments et les personnages manichéens à l’excès transforment cet ouvrage en hymne à la tolérance et à la bonté. La fin mielleuse et moralisatrice n’est pas dénuée de clichés et démontre que l’auteur a clairement choisi son camp. L’amour, les enfants, la belle maison en bord de mer, il ne manque absolument rien au tableau. On aurait préféré une toile un peu plus originale et mordante.
Eric-Emmanuel Schmitt, Lorsque j’étais une œuvre d’art, Albin Michel, 2002, 288 pages, 18 €