Le 23 avril 2003
- Dessinateur : Mattotti, Lorenzo
Au mur, la toile d’un peintre américain, version actuelle de l’Astronome de Vermeer. Un jeune homme en sweat-shirt a remplacé le savant, un ordinateur le globe, mais la technique picturale est restée la même. Mélange des temps, mélange des genres, rien d’étonnant : nous sommes dans l’atelier de Lorenzo Mattotti, dessinateur, peintre, illustrateur et affichiste, joyeux mélangeur qui fait éclater depuis vingt ans les cases de la bande dessinée.
Dessinateur, peintre, illustrateur, affichiste... Lorenzo Mattotti mélange les genres et fait éclater depuis vingt ans les cases de la bande dessinée. Avec bonheur.
Comment conjuguez-vous vos différentes activités ?
D’un côté, je place les commandes d’affiche. De l’autre, la BD, qui était dans les années 80 mon activité principale. Aujourd’hui, j’ai beaucoup de demandes et il n’est pas facile de faire des choix. J’aurais envie de tout faire, mais je tente de faire le moins de choses possible venant de l’extérieur, de la presse surtout. Les commandes ont toutefois l’avantage de me pousser, de m’aider dans mes autres travaux. Mais j’essaie, de plus en plus, de ne suivre que mes envies. J’ai maintenant une passion pour la peinture et l’aquarelle.
Dans votre parcours de dessinateur de BD, on remarque que quatre scénaristes reviennent fréquemment.
Oui, ce sont tous des copains. Avec Kramsky, on bosse ensemble depuis trente ans. Il est presque un frère. Avec Ambrosi, c’est une longue histoire privée. Zentner, on se connaît depuis longtemps, avant Caboto [1]. Et Persanti est un copain de dix ans. La méthode de travail est la même avec chacun, on fait un vrai travail d’équipe. On n’a jamais de scénario écrit au départ. On ne connaît jamais la fin, même pour Docteur Jekyll & Mister Hyde [2] ! On avance dans l’histoire parfois avec les dessins, parfois avec les textes. Mais pour réussir cela, il faut bien se connaître.
Est-ce que travailler avec plusieurs scénaristes est pour vous une façon d’explorer des univers différents ?
Chacun m’aide à toucher des endroits que je ne me sens pas très capable de toucher seul. Avec Kramsky, par exemple, c’est la fantaisie, l’imaginaire, les rêves. Piersanti, c’est plus réaliste, c’est un écrivain qui a un regard très vrai dans ses romans, une écriture simple. Normalement, c’est toujours moi qui appelle pour se lancer dans une histoire. Quand j’ai voulu faire Le bruit du givre [3], on n’avait pas encore terminé Jekyll et Kramsky avait d’autres projets. Zentner était libre. Alors on s’est lancé, sans savoir où on allait. On devait donner une page couleur par semaine au Frankfurter Allgemeine Zeitung et on n’avait que deux pages pour commencer ! On a avancé comme pour un feuilleton, en ayant toujours trois planches d’avance. Jorge est venu passer une semaine par mois à Paris pendant six mois. Pour lui, c’était comme un rituel.
Le passage de Docteur Jekyll au Bruit du givre est assez étonnant...
Pour Jekyll, on avait fait avec Kramsky une BD classique, et j’avais envie de pouvoir utiliser le dessin de façon plus ouverte, notamment dans le rapport texte-images. Je trouve que la façon de raconter utilisée dans Le bruit du givre (séparation stricte du texte et des images, ndlr) est très intéressante à réaliser, tout comme le traitement des rêves du personnage qui conduisent à une autre histoire.
Votre prochain album sera de la même veine ?
Tout dépendra de l’histoire qu’il y aura à raconter !
J’imagine que vous êtes content des rééditions récentes de L’homme à la fenêtre et de Caboto...
Bien sûr, surtout que cela permet de montrer d’autres facettes de mon travail. Pour L’homme à la fenêtre [4] par exemple, la démarche était la même que pour Stigmates [5]. C’était le même voyage. J’avais changé de style en optant pour une ligne fragile afin de raconter un roman graphique. C’était pour moi la possibilité de développer des sentiments, une histoire plus littéraire... C’était nouveau. Au début des années 80, à part Maus de Spiegelmann, les romans graphiques n’existaient pas.
Vous évoquiez Stigmates. Qu’est-ce que cet album représente pour vous ?
Un autre voyage, l’utilisation d’un trait très dur, d’un dessin plus émotionnel, plus direct. Comme L’homme à la fenêtre, ils ont tous deux l’idée du dessin comme écriture. Avec Feux [6], Stigmates est le titre le plus important pour moi. J’y ajoute aussi maintenant Le bruit du givre, enfin, je crois...
Le bruit du givre, vous le disiez, propose un nouveau rapport entre le texte et l’image, ouvrant ainsi de nouveaux horizons à la bande dessinée. Comment vous situez-vous face à cela ?
Vous savez, quand j’ai fait Feux, ça a été considéré comme l’album qui a ouvert la BD à la peinture. Il y a même eu des gens qui ont dit que ce n’était plus de la bande dessinée. Ça m’a toujours intéressé de trouver la bonne façon de raconter les choses, de ne pas avoir trop de catégories dans la tête. Feux date de 1986, mais il a déjà été oublié. Désormais, même si la BD a une histoire, on oublie trop facilement ce qui a déjà été fait.
Quand on prononce votre nom à un amateur de BD, il l’associe souvent avec votre traitement caractéristique de la couleur. Est-ce que vous ne trouvez pas cela un peu réducteur ?
C’est vrai que les couleurs, c’est la vie, c’est l’énergie qu’on peut passer aux autres. C’est vrai qu’on peut donner des émotions avec des couleurs, ce que j’ai essayé de faire avec Feux par exemple. C’est vrai aussi que j’utilise les couleurs comme un élément de narration. Mais il faut se méfier : les couleurs peuvent n’être parfois que les lumières du spectacle. Et je ne veux pas qu’elles soient réductrices. Quand j’ai fait L’homme à la fenêtre, je ne voulais pas tomber là-dedans, c’est pour ça que j’ai fait du noir et blanc. Cela permet de plus se concentrer sur l’histoire.
Sur quels projets êtes-vous actuellement ?
Je travaille l’aquarelle, peut-être en vue d’une expo. J’organise aussi la réédition de Signor Spartaco, ainsi que la sortie d’un livre d’aquarelles, mes dessins de voyage à Angkor que j’avais réalisés pour pour le magazine Géo.
[1] Mattotti & Zentner, Caboto, Casterman, 2003 (réédition), 56 pages, 12,50 €
[2] Mattotti & Kramsky, Docteur Jekyll & Mister Hyde, Casterman, 2002, 64 pages, 13,50 €
[3] Mattotti & Zentner, Le bruit du givre, Le Seuil, 2003, 120 pages, 15 €
[4] Mattotti & Ambrosi, L’homme à la fenêtre, Casterman, 2003 (réédition), 164 pages, 12,50 euros
[5] Mattotti & Piersanti, Stigmates, Seuil, 1998, 187 pages, 19,06 euros
[6] Mattotti, Feux, Seuil, 1997 (réédition), 70 pages, 14,94 euros
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