Le 23 avril 2003
Dégommage du milieu des tendanceurs, publicitaires voraces aux dents longues et acérées.
Le premier roman d’Alex Shakar dégomme le milieu des tendanceurs, publicitaires voraces aux dents longues et acérées.
Profession tendanceur. Comprenez par là chargé de décrypter nos goûts en matière de design et de mode de vie. Parier des mois à l’avance sur les couleurs dont on habillera nos murs, les vêtements qu’on portera, l’état d’esprit qui planera dans l’air. Renifleur de tendance, dictateur de l’avenir, dessinateur du futur... Un sacré boulot. Une charge monstrueuse, d’autant que ces foutues tendances deviennent de plus en plus difficiles à prévoir. A cause de ces ados s’enfermant dans des univers virtuels, fringués de noir et s’éclatant sur des jeux vidéos comme pour mieux se détacher d’une réalité qu’on tente de leur imposer.
Pour dégoter la tendance qui à coup sûr fera l’unanimité, il suffit de voyager un peu, de s’inspirer de ce qui se passe à l’autre bout du monde, de s’intéresser aux gens de la rue. Et quand Ursula découvre la sauvage dans "Banister park", elle comprend tout de suite que cette jeune femme représente LA tendance. Retour aux racines, aux scarifications, peaux de bêtes sur le corps, "look sauvage", bestial... Ursula vient d’être embauchée par Chas, grand manitou de Tomorrow, la boîte qu’on sollicite pour décrypter l’évolution des besoins et des moeurs. Ivy, la jeune soeur d’Ursula, est hospitalisée. Top model qui a pété les plombs, rêvant d’une célébrité absolue, devenue schizophrène. Ursula va parvenir à convaincre Cabaj d’utiliser l’image de la sauvage pour fourguer son eau minérale. Et, dans le rôle du mannequin, Ivy, dont la notoriété est acquise depuis qu’elle a été retrouvée à poil en pleine rue.
Ils vont se donner un mal fou pour lancer cette campagne, "postironie", peintures de guerre et "paradessences". Ça n’a l’air de rien une tendance, vous ne vous rendez pas compte, mais c’est un boulot colossal pour que l’idée prenne forme et s’impose. Surtout que la société actuelle ne ressemble plus à celle des sixties. Alors les publicitaires se plient en quatre, vont jusqu’au bout d’une logique implacable pour qu’on avale leur soupe. Et parfois, il arrive qu’ils se plantent, royalement...
La prose d’Alex Shakar, impressionnante d’exactitude et de densité, est un régal. Plongée dans un univers qu’il décode avec cynisme et ironie, immersion brutale dans un milieu en proie au doute mais dirigé par des voyants obnubilés par trop de certitudes. Le roman se passe à Middle City, grosse pomme à peine déguisée. On sent que l’école trash américaine, emmenée par Easton Ellis et McInerney, a fait des petits. Et Shakar, avec ce premier roman, s’inscrit d’emblée parmi les écrivains sur lesquels il va falloir compter. Le bougre maîtrise parfaitement son sujet, menant des personnages enchaînés à leurs certitudes jusqu’au bout de leurs délires. Pour les faire dégringoler de plus haut encore, leur mettre le nez dans leurs incohérences et leurs paradoxes avant de leur asséner le coup de grâce. L’art et la manière de tailler un costard sur-mesure à ces tendanceurs !...
Alex Shakar, Look sauvage, (The savage girl, traduit de l’américain par Daniel Lemoine), Au Diable Vauvert, 2003, 413 pages, 17 €
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