Le 28 avril 2025
Un film choral bien mené autour de la Révolution roumaine. Le mélange de drame et d’éléments de comédie grinçante, plutôt bien dosé, contribue à la réussite de l’ensemble.


- Réalisateur : Bogdan Mureşanu
- Acteurs : Ioana Flora, Adrian Văncică, Iulian Postelnicu, Mihai Calin, Nicoleta Hâncu, Emilia Dobrin, Andrei Miercure
- Genre : Comédie dramatique, Historique, Film choral
- Nationalité : Roumain
- Distributeur : Memento Distribution
- Durée : 1h28mn
- Titre original : Anul Nou care n-a fost
- Date de sortie : 30 avril 2025
- Festival : Festival de Venise 2024

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Résumé : 20 décembre 1989. La Roumanie est au bord de la révolution. Les autorités préparent les festivités du Nouvel An comme si de rien n’était ou presque mais le vernis officiel commence à craquer. Dans l’effervescence de la contestation, six destins vont se croiser au fil d’une journée pas comme les autres. Jusqu’à la chute de Ceaușescu et de son régime.
Critique : Grand Prix Orizzonti à la Mostra de Venise 2024, Ce Nouvel An qui n’est jamais arrivé est le premier long métrage de Bogdan Mureșanu qui avait jusque-là réalisé des courts en parallèle de ses activités dans la publicité, la production et le scénario. Film choral mettant en avant six principaux personnages, Ce Nouvel An a pour cadre narratif et historique les heures qui ont précédé la chute du régime de Ceaușescu, et donc une période essentielle dans la mémoire collective roumaine. Le dictateur n’est pas lui-même incarné à l’écran, mais apparaît de façon récurrente à travers des photos officielles ou, en fin de récit, via des images d’archives. Comment le parcours individuel trouve-t-il sa place au sein du collectif, et ce dans un contexte d’imminence de changement de régime, dans une ambiance fin de règne ? C’est quelque peu l’interrogation que pose Mureșanu, en croquant le portrait de plusieurs citoyens : un réalisateur de télévision apolitique dont le fils, étudiant, est activiste et souhaite quitter le pays ; une dame âgée, mère d’un cadre du Parti, expulsée de son immeuble en cours de démolition ; un brave ouvrier qui souhaite, comme tant d’autres, la chute du dictateur ; une comédienne qui hésite à déclamer un texte de propagande lors de l’enregistrement d’un divertissement télévisé de fin d’année ; un directeur de télévision au service du pouvoir, mais qui sent le vent tourner…
- © 2025 Memento Distribution. Tous droits réservés.
La première réussite de Ce Nouvel An réside dans l’articulation pertinente de différents niveaux narratifs, les personnages se croisant de façon délibérée (l’ouvrier effectue des travaux de bricolage chez la vieille dame) ou fortuite (l’étudiant et la comédienne entrent dans la même pharmacie). Paranoïa inhérente quand un pouvoir est totalitaire, contrariété d’individus en mode rébellion interne mais n’osant pas revendiquer, délations pour sauver des vies… Ces aspects sont admirablement rendus par le réalisateur, notamment dans les passages concernant Florina, la comédienne, qu’interprète admirablement Nicoleta Hâncu. Le second atout du long métrage est le dosage subtil d’intensité dramatique et d’humour (souvent noir), qui culmine lorsque Gelu, l’ouvrier, réalise que son petit garçon a envoyé par courrier postal une lettre au père Noël pour demander son jouet préféré, mais aussi un sac neuf pour maman et la mort du vieux Nico pour papa…
- © 2025 Memento Distribution. Tous droits réservés.
Au niveau de la mise en scène, le film propose une approche intéressante, et le réalisateur de préciser dans le dossier de presse : « J’ai opté délibérément pour une caméra libre de ses mouvements permettant d’augmenter le degré de réalité de la fiction. J’ai également colorisé les images pour qu’elles se rapprochent esthétiquement de celles d’archives inclues dans le générique de fin. Une grande partie de l’action se déroule dans les locaux d’une chaîne de télévision, il me paraissait naturel de jouer avec son langage, du format 4:3 au zoom, comme dans les années 1980. La caméra est vivante. Avec elle, j’espionne les personnages et j’alimente cette atmosphère de paranoïa et de méfiance permanente qui gangrène les sociétés sous surveillance. » On regrettera toutefois un dénouement un brin grandiloquent, avec ralentis et Boléro de Ravel à l’appui (dans la continuité du film éponyme d’Anne Fontaine et d’En fanfare). Mais Bogdan Mureșanu est clairement sur la bonne voie et il pourrait devenir une figure de proue du nouveau cinéma roumain, comme le furent (et le sont toujours) Cristian Mungiu et Cristi Puiu.