Impitoyable
Le 18 août 2018
Gifle formelle ahurissante, Leviathan est un film monstre d’une beauté qui n’est pas sans rappeler le cinéma de Tarkovski. Un quasi chef-d’œuvre en forme de brûlot sociopolitique d’une ambition rare.
- Réalisateur : Andreï Zviaguintsev
- Acteurs : Elena Liadova, Alexeï Serebriakov, Vladimir Vdovitchenkov
- Genre : Drame, Comédie dramatique
- Nationalité : Russe
- Distributeur : Pyramide Distribution
- Durée : 2h21mn
- Titre original : Leviafan
- Date de sortie : 24 septembre 2014
- Festival : Festival de Cannes 2014
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Résumé : Kolia habite une petite ville au bord de la mer de Barents, au nord de la Russie. Il tient un garage qui jouxte la maison où il vit avec sa jeune femme Lylia et son fils Roma qu’il a eu d’un précédent mariage. Vadim Cheleviat, le maire de la ville, souhaite s’approprier le terrain de Kolia, sa maison et son garage. Il a des projets. Il tente d’abord de l’acheter mais Kolia ne peut pas supporter l’idée de perdre tout ce qu’il possède, non seulement le terrain mais aussi la beauté qui l’entoure depuis sa naissance. Alors Vadim Cheleviat devient plus agressif...
Critique : Outre sa structure narrative, d’une prétention hors du commun – Zviaguintsev brasse des références comme la Bible ou l’analyse du corps social chère à Hobbes –, Leviathan est d’abord une véritable déflagration visuelle. Non content de donner à voir des cadrages sidérants et des plans cosmogoniques renvoyant directement au cinéma d’Andreï Tarkovski - comme l’image d’une violence symbolique immémoriale -, le long-métrage intègre sans doute quelques-uns des plans-séquences les plus ingénieux aperçus ces dernières années. Une richesse que le réalisateur met au service d’un système de déconstruction chirurgical, aussi bien pour dénoncer les tares du système russe que celles de son peuple.
Du précédent film d’Andreï Zviaguintsev, Elena, Léviathan partage la musique - remarquable - de Philip Glass. C’est que ces deux longs métrages ont en commun une trajectoire analogue. Tandis qu’Elena dépeignait une fastueuse demeure assiégée par les plus démunis, où une femme de la même condition venait de commettre un meurtre, Léviathan met à son tour en scène en miroir inversé le peuple dépossédé par l’État - en l’occurrence par les élus corrompus le représentant. Dans ce paysage lunaire et dévasté, au bord de la mer de Barentz, les pourris son légion et les monstres font la loi. Pour donner à voir son pays, la Russie, le réalisateur ne fait preuve d’aucune pitié ni compassion pour quiconque.
- © Pyramide Distribution
Bien décidé à garder sa maison et à déjouer les magouilles du maire, qui cherche à l’expulser par tous les moyens, Kolia demande de l’aide à son frère Dimitri, avocat à Moscou. Ce dernier va d’abord remporter une petite victoire en menaçant de révéler les combines des élus. Mais c’est peine perdue : les puissants, en Russie, sont systématiquement protégés par la loi. Sans compter l’Église orthodoxe, qui reste dans le rang et blanchit les politiques. Comme une machine impitoyable et inexorable.
Mais la critique sans concession de Zviaguintsev ne s’arrête pas là : main de fer dans un gant de velours, le réalisateur donne à voir les Russes, ses compatriotes, comme des êtres vacillants, toujours ivres et prompts à noyer leurs maux et leur amertume dans la vodka. Personnage à part entière, la boisson leur fait ainsi tolérer leur petitesse, leur faiblesse et leur résignation. Et finalement, les dirigeants ont dès lors pour eux peu d’importance, pourvu qu’ils les laissent continuer à s’enivrer. Il faut dire que la vodka est leur unique laisser-passer pour l’indifférence et l’amnésie. À ses heures comédie au vitriol, le quatrième film de Zviaguintsev gouaille en somme quatre des fondements de la Russie d’aujourd’hui : le simulacre de la démocratie, la corruption, la religion et la vodka. Film noir aussi ténébreux et aride qu’était poétique et lumineux Elena, Leviathan est une œuvre pétrifiante tant elle est cruelle.
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