La journée du kimono
Le 22 mars 2009
Mélodrame flamboyant ou chronique académique ? On peut-être partagé sur cette œuvre sensible d’un artisan méconnu du cinéma japonais.
- Réalisateur : Keisuke Kinoshita
- Acteurs : Chishū Ryū, Kumeko Urabe, Hideko Takamine, Yumeji Tsukioka
- Genre : Mélodrame, Noir et blanc
- Nationalité : Japonais
- Editeur vidéo : MK2 Video
- Durée : 2h36mn
- Titre original : Nijushi no hitomi
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Résumé : L’histoire d’une jeune institutrice, Hisako, et de ses douze élèves d’une petite île de la mer du Japon, de 1928 à l’après-guerre.
Critique : Du cinéma japonais des années 50, on retient souvent les trois grands maîtres, Kurosawa, Mizoguchi et Ozu ainsi que, à un moindre degré, l’artiste incomparable que fut Mikio Naruse. Si Keisuke Kinoshita ne bénéficie pas de leur aura, il n’en reste pas moins très populaire au Japon et a connu une prolifique carrière d’artisan inspiré, à l’instar de nos Duvivier ou Autant-Lara, avec un sens aigu de l’observation des mœurs et un arrière-plan sociopolitique pertinent.
Les « 24 prunelles » du titre représentent les yeux de 12 élèves d’école primaire dont le destin suivra celui d’un Japon lancé dans plusieurs guerres dont l’une s’avèrera dévastatrice. La première partie du récit pourra paraître maladroite, avec ses excès de pathos, ses chants d’enfants horripilants à la longue et une caméra un peu mollassonne dans le filmage des personnages et des feuillages dont l’évolution suit le rythme des saisons. Pourtant, de beaux plans retiennent vite l’attention, et les travellings suivant l’institutrice moderne se déplaçant en bicyclette et en jupe, sous le regard médusé des villageoises, dénotent une véritable élégance de mise en scène. Le film devient plus captivant dès sa seconde heure, lorsque les valeurs d’humanisme et de vie de Hisako se heurtent au patriotisme va-t-en-guerre de l’institution et de ses pairs. Il faut alors situer le film dans son contexte historique et remarquer que Kinoshita faisait preuve d’une audace de scénario en présentant un tel personnage principal, qui va jusqu’au bout de son intégrité morale en démissionnant de son poste, jusqu’à la capitulation du Japon, perçue comme une vraie délivrance à ses yeux. Hideko Takamine, actrice au jeu sensible et émouvant, qui sera l’interprète de Nuages flottants, n’est pas pour rien dans la force émotionnelle de la dernière demi-heure, celle des retrouvailles et des bilans.
Son rôle présente des similitudes avec d’autres incarnations de l’éducateur à l’écran. Comme Robert Donat dans Goodbye, Mr. Chips (Sam Wood, 1939), elle sacrifie l’ensemble de son existence à sa mission pédagogique, au prix d’un certain sacrifice de sa vie privée. Elle pourrait être la cousine japonaise de Gaby Morlay, nounou dans Le Voile bleu, (Jean Stelli, 1942), par sa volonté de suivre le cours de l’existence d’anciennes têtes blondes : l’actrice française incarnera d’ailleurs une vieille institutrice similaire dans L’Amour d’une femme. Tel Bernard Blier dans L’École buissonnière (Jean-Paul Le Chanois, 1949), Hisako suscite la méfiance des parents d’élèves, avant de remporter leur adhésion. Avec le Robin Williams du Cercle des poètes disparus, elle partage la supériorité du système des valeurs sur les hypocrisies académiques. Elle serait une marraine crédible de Ryan Gosling dans Half Nelson (Ryan Fleck, 2006), en assurant aussi les fonctions d’assistance sociale. Enfin, par son désir de fidéliser ses petits écoliers, elle s’apparente aux maîtresses d’école de Pas un de moins (Zhang Ymou, 1999) ou Le Tableau noir (Samira Makhmalbaf, 2000). Son métier au quotidien s’avèrera toutefois d’une moindre tension que celle ressentie par Glenn Ford dans Graine de violence (Richard Brooks, 1955) ou François Bégaudeau dans Entre les murs.
Pour qui acceptera le jeu du mélo et de ses conventions, Vingt-quatre prunelles, sans atteindre l’intensité des drames de Sirk, sera donc un récit attachant et une réflexion intelligente sur le système éducatif, et transcende ses relents de palmes académiques.
– Golden Globes, USA 1955 : Meilleur film étranger
– Kinema Junpo Awards 1955 : Meilleur film
– Mainichi Film Concours 1955 : Meilleur film - Meilleure actrice pour Hideko Takamine
– Sortie Japon : 15 septembre 1954
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