Trois mousquetaires et un cadet de Gascogne, tous pour un, un pour tous. Quatre hommes prêts à tout pour défendre la cause qui leur semble bonne - celle de la Reine, celle de l’amour, celle de l’amitié. Des lieux qui défilent, Meung, Paris, Londres, La Rochelle, les noires rives de la Lys. De la passion, du courage, de la haine, de l’insouciance. Et des rebondissements à n’en plus finir, qui ne peuvent que s’arrêter brutalement. Il n’en fallait pas plus pour se laisser emporter, adolescent, par Les trois mousquetaires. Et, pour tout dire, il ne m’en faut pas davantage pour y succomber aujourd’hui. Même s’il y a le reste. Et quel reste !

A commencer par cette truculente galerie de portraits, certains, cruels, croqués en quelques lignes définitives (Rochefort, l’ignoble Bonacieux), d’autres révélant leur richesse au fil du roman, voire même dans le suivant (Vingt ans après), quand les mousquetaires, opposés à Mazarin, regretteront son prédécesseur Richelieu. Et puis, il y a Athos, Porthos, Aramis, le fougueux d’Artagnan, mon préféré, évidemment, quand je découvris le roman de Dumas. A le relire aujourd’hui, il ne l’est plus, détrôné par son père spirituel, qui est aussi celui de la trilogie même des Mousquetaires, qu’il lie de sa liaison avec Anne de Breuil, future Milady de Winter, à sa celle de son fils Raoul pour Louise de la Vallière, au cœur du Vicomte de Bragelonne : Athos. "Seul père dans une geste romanesque où les ascendants manquent, évanouis ou disparus, génération sans attaches qui peut ainsi user d’une liberté plus large" [1], Athos le sage, Athos le dépressif à l’œil vif, Athos le comte de la Fère, est la dernière figure d’un monde dont Dumas écrit le testament.

Aristocrate, Les trois mousquetaires ? Populaire, plutôt ! Et rares sont les romans qui, comme celui-ci, font mouche dans toutes les classes sociales. Et pour cause : "Les trois mousquetaires, c’est la France mythifiée, d’avant la monarchie absolue, d’avant la Révolution, la France chevaleresque, gaillarde, incarnée par un héros sans le sou, grand des seules qualités où le « génie national » va aimer se reconnaître, la bravoure, la galanterie, l’aplomb, ou plutôt incarnée par trois héros plus un, qui, de l’aristocrate au prêtre, vont représenter à eux tout seuls la réunion des états généraux, tandis que le Gascon, en s’ajoutant au trio, vient lui donner sa pleine signification d’intrépide symbole d’une nation" [2].

Etonnant symbole toutefois... D’Artagnan et les mousquetaires ont choisi leur camp : celui d’une reine autrichienne amoureuse d’un Anglais, qu’ils protègent de Richelieu, l’éminence grise de leur pays. Ce qu’ils font en réglant leurs propres comptes, se mettant à six pour tuer Milady. Cette Anne de Breuil que d’Artagnan avait violée et qu’Athos, bien des années plus tôt, avait pendue et laissée pour morte. Une autre lecture des Trois mousquetaires, noire, amorale, signe de l’inépuisable richesse de ce roman.