Une femme libre
Le 25 janvier 2011
Au delà de sa réputation d’esthète décadent, Yevgeni Bauer est tout bonnement un immense cinéaste à redécouvrir.
- Réalisateur : Yevgeni Bauer
- Acteurs : Nina Tchernova, Vitali Brianski , A. Ougrioumov, V. Dermert
- Genre : Drame, Film muet
- Nationalité : Russe
- Durée : 48mn
- Titre original : Sumerki zhenskoi dushi - Сумерки женской души
- Plus d'informations : http://russianfilm.blogspot.com/201...
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– Date de sortie en Russie : 26 novembre 1913
– Autre titre répertorié : Le crépuscule dans le coeur d’une femme
– Titre anglais (édtion DVD) : Twilight of a womans’s soul
Au delà de sa réputation d’esthète décadent, Yevgeni Bauer est tout bonnement un immense cinéaste à redécouvrir.
L’argument :La jeune et belle Vera n’est pas attirée par les fastes de la haute société, elle rêve d’être utile à l’humanité. C’est pourquoi elle décide d’accompagner sa mère pour aller apporter de l’aide aux pauvres. Mais les pauvres rencontrés sont souvent des alcooliques et des voleurs.
Un jour elle reçoit une lettre de Maxime, un charpentier qu’elle avait rencontré quelques jours avant. Il lui demande de l’aide, affirmant qu’il est malade et n’a personne pour l’aider. La jeune fille se rend seule chez lui et comprend trop tard que Maxime ne l’avait attirée chez lui que pour abuser d’elle. Profitant de son sommeil, elle prend un couteau et le tue.
Elle garde le silence mais est bouleversée par son acte. Elle tombe malade. Pourtant après quelque temps, la douleur s’apaise, elle rencontre un jeune prince, Dolski. Ils tombent amoureux l’un de l’autre et se marient. Mais Vera ne peut supporter de garder pour elle son terrible secret. Elle le dit à son mari qui sans pitié la répudie.
Après quelques années Vera se lance avec succès dans une carrière de chanteuse qui la conduit à Paris. Le prince Dolski vient la rejoindre : il est toujours amoureux. Mais il est trop tard, Vera ne l’aime plus. Le malheureux se tue d’une balle de révolver.
Notre avis : La carrière de cinéaste d’Yevgeni Bauer, mort en 1917 à 52 ans, ne s’étend que sur cinq ans mais ne comporte pas moins de 82 titres, dont un tiers environ sont parvenus jusqu’à nous. Si elle a toujours eu sa place dans les histoires du cinéma son oeuvre a connu un vif regain d’intérêt dans les dernières années, en particulier grâce aux efforts du British Film Institute qui a édité sept de ses films dans le cadre d’une série de dix cassettes VHS consacrées au cinéma russe d’avant la Révolution, puis, en 2002, trois autres sur un DVD intitulé Mad love.
Ce titre annonce assez bien le programme car Après la mort (1915) et La mort du cygne (1916) sont des drames à tendance morbide dans lesquels l’amour prend la forme d’une passion maladive et fatale.
Ces poèmes raffinés et vénéneux mettent en scène, non sans ironie, des personnages en proie à un véritable délire mortifère et contiennent de fascinantes séquences oniriques. Bauer y laisse libre cours à son sens pictural et à son talent pour créer des atmosphères envoutantes, semblant confirmer sa réputation d’esthète décadent.
Sumerki zhenskoi dushi - Les troubles de l’âme féminine, une de ses toutes premières réalisations, se situe au même niveau d’accomplissement, mais, moins clos formellement, il bénéficie d’une exceptionnelle respiration qui le rend peut-être plus troublant encore.
Le film n’est pas sans parenté avec ceux qu’interprétait Asta Nielsen depuis 1910, au Danemark puis en Allemagne, ou avec les films de divas italiens. Comme eux il est presque entièrement centré sur son héroïne.
Mobile sans ostentation, la caméra de Bauer semble la pousser doucement lorsqu’elle s’avance à contre-coeur pour rejoindre les invités d’une soirée mondaine. La composition du cadre l’enferme dans l’écrin étouffant de sa vie luxueuse, l’enveloppant de gazes et l’encerclant de miroirs pour nous faire ressentir son insatisfaction face à cette existence protégée mais vide.
La découverte d’un autre univers, celui des pauvres, est à l’évidence pour elle une échappée bienvenue. Un étonnant plan large en plongée parvient à communiquer l’excitation mêlée de crainte qu’elle ressent lors de son expédition en solitaire dans ce monde inconnu.
Bauer, en totale empathie avec le personnage et l’actrice, la belle et fragile Nina Tchernova, sait animer les lieux et les objets et se révèle un cinéaste de toute première grandeur. La sureté et l’élégance avec laquelle il manie les outils du cinéma (mouvements de caméra déjà évoqués, remarquable séquence de rêve avec surimpressions, flashback) le distinguent de la plupart de ses contemporains et témoignent d’un art arrivé d’emblée à sa maturité expressive.
La dimension sociale que, par simple méconnaissance, on a souvent niée à son oeuvre est évidente ici et plus encore la coloration féministe. Car Vera n’est en rien une victime et se révélera plus forte que l’ordre patriarcal. Pour le prince incapable de grandeur d’âme elle n’aura que pitié condescendante et, devenue actrice et donc indépendante, elle le rejettera froidement lorsqu’il reviendra se jeter à ses pieds dans sa loge après une représentation de la Traviata.
Tout cela sans longs discours ni gestes théâtraux mais presque sèchement, le film s’achevant sur le suicide de l’amoureux éconduit sans plus de commentaires.
Car le cinéma de Bauer est incroyablement moderne et tranchant malgré ses capiteux effluves fin de siècle et il n’a pas fini d’étonner et d’émouvoir.
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