Petit chien au soleil face à la mer
Le 22 novembre 2014
Prodige de mise en scène sophistiquée, le dernier film de Bauer est une suite d’aveuglants rébus révélant l’étrangeté irrémédiable du monde.
- Réalisateur : Yevgeni Bauer
- Acteurs : Emma Bauer, Mikhaïl Stalski, Viatcheslav Svoboda, Maria Boldyreya, Nikolaï Radine, Lidia Koreneva
- Genre : Drame, Film muet
- Nationalité : Russe
- Durée : 1h02mn
- Titre original : Король Парижа (Korol Parizha)
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– Date de sortie en Russie : 6 décembre 1917
– Image : Boris Zaveliov
– Décors : Lev Koulechov
– Production : A. Khanjonkov et Cie
– D’après un roman de Georges Ohnet (1898)
Prodige de mise en scène sophistiquée, le dernier film de Bauer est une suite d’aveuglants rébus révélant l’étrangeté irrémédiable du monde.
L’argument : Dans une salle de jeux, un jeune homme, Roger, est soupçonné de tricherie aux cartes. Un homme du monde, ayant observé la scène, prend sa défense et établit son innocence avant de lui proposer une importante somme d’argent. Cet homme du monde n’est autre, en réalité, qu’un aventurier bien connu, criminel insaisissable glissant constamment entre les doigts de la justice et réapparaissant sous d’autres noms. Sur ses conseils Roger pour devient le « Roi de Paris »
avec l’aide du célèbre duc Diernstein et de ses relations, grâce aussi à ses tricheries au jeu de cartes. Mais le fils du duc, renonçant à l’héritage de son père, dénonce Roger et le tuera au cours d’un duel.
Notre avis : En 1916, Yevgenij Bauer s’était inspiré pour son admirable Vie pour vie - Жизнь за жизнь d’un roman de l’auteur du célèbre Maître des Forges, Georges Ohnet, écrivain à succès, utilisant les recettes du mélodrame et du feuilleton et dont Anatole France écrivait : Tout ce qu’il touche devient aussitôt tristement vulgaire et ridiculement prétentieux.
C’est du même auteur que s’inspirait à nouveau le cinéaste pour ce Roi de Paris tourné aux bords de la Mer Noire durant l’été 1917 et terminé après sa mort, survenue le 6 juin 1917, par Olga Rakhmanova.
- Король Парижа 1917 Bauer
- Король Парижа 1917 Bauer
L’intrigue est probablement fidèle à celle du roman. Feuilletonnesque et invraisemblable à souhait, elle accumule les situations mélodramatiques mais permet à Bauer de déployer à l’écran un univers complexe, chatoyant et mystérieux, dont le chaos apparent est régi par des lignes de forces secrètes.
Dans la version du film qui nous est parvenue, le montage rapide, aux enchaînements parfois brutaux, à la limite du téléscopage et de la béance dramatique, contribue à la fascination exercée par les étranges chassés croisés auxquels se livrent les nombreux personnages dont les rapports restent souvent énigmatiques, ou trop évidents pour ne pas redevenir opaques : l’ami amoureux qui embrasse le jeune homme sur la bouche avant le duel puis s’éloigne après un dernier coup d’oeil triste de côté lorsqu’il le voit dans les bras de lsa bien aîmée). La direction d’acteurs parvient à leur donner une aura de mystère en associant la théâtralité assumée des poses à une forme de rétention dans le jeu proche de l’absence à soi.
- Король Парижа 1917 Bauer
- Король Парижа 1917 Bauer
Mais c’est surtout dans le subtil travail sur le cadre et la composition que se révèle l’art unique de Bauer : angles inattendus (la clairière du duel en vue plongeante) ; effet de désorientation du spectateur dans l’extraordinaire scène filmée face à un miroir dans le vestibule d’un palais où arrivent les invités d’une réception mondaine : les personnages sortant par le côté réapparaissent aussitôt dans le fond mais s’éloignant dans l’autre sens, ou, inversement, avancent vers l’écran avant de rentrer dans le champs par le bord, là où on ne les attends pas (étant même, à certains moments, carrément coupés en deux) ; le seviteur noir en livrée, planté en plein milieu de l’écran et assistant impassible aux échanges entre la duchesse avec l’intriguant puis, un peu plus tard, avec son fils ; entre les deux scènes : le gros plan, sur fond de salle de bal, du visage de la mère, éffaré puis se recomposant, et laissant deviner l’arrivée de du fils ; le petit chien qui vient s’assoir en plein centre de l’image sur la terrasse en bord de mer pendant que les personnages s’éloignent de dos ; les malfrats qu’on voit passer derrière la baie vitrée avant leur irruption dans le salon.
- Король Парижа 1917 Bauer
- Король Парижа 1917 Bauer
Le film entier n’est qu’une suite d’aveuglants rébus où toujours Bauer arrive à installer une tension, une attente, et à créer la sensation troublante et délicieuse qu’il se passe là des choses trop évidentes et qui du coup échappent à l’interprétation, bref à nous faire apparaître à chaque plan l’étrangeté irrémédiable du monde. C’est le propre des plus grands cinéastes.
- Король Парижа 1917 Bauer
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