Une Rolls passe
Le 22 mai 2015
Le premier long-métrage de Vecchiali oscille avec une franchise ludique mais sans malice entre réalisme(s), roman-photo et comédie musicale. Enchanteur et bouleversant.
- Réalisateur : Paul Vecchiali
- Acteurs : Michel Piccoli, Geneviève Thénier, Nicole Courcel, Hélène Surgère, Sonia Saviange, Andrée Tainsy, Germaine de France, Danièle Ajoret, Roger Blin, Marie Déa, Jean-Claude Drouot, Marc Johannes, Georges Beauvilliers
- Genre : Drame
- Nationalité : Français
- Editeur vidéo : La Traverse, Les éditions de l’œil
- Durée : 1h42mn
- Date de sortie : 15 juin 1966
- Plus d'informations : http://latraverse.tictail.com/produ...
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– Production (1965) : Stéphan Films - Prisma Films - Véra Belmont
– Chansons de Joël Holmes, Paul Vecchiali (textes) et Louis Bessières (musique) interprétées par Cora Vaucaire et Alice Dona
– Interprètes : Geneviève Thénier : Ginette - Danielle Ajoret : Solange - Jean-Claude Drouot : Daniel - Michel Piccoli : l’antiquaire - Roger Blin : le châtelain - Nicole Courcel : Mme Julien, la patronne du café au bord de la Marne - Marie Déa : Mme Marcelle, la directrice de l’atelier de couture - Andrée Tainsy : la mère de Ginette - Germaine de France : Mariette, la voisine - Micheline Bona - Jacques Harden - Marc Johannès (l’homme à la Rolls) - Denise Péron - Jean Pommier - Martine de Riche - Sonia Saviange - Hélène Surgère - Raymonde Vattier - Paul Vecchiali (le père de Ginette en photo)
Le premier long-métrage de Vecchiali oscille avec une franchise ludique mais sans malice entre réalisme(s), roman-photo et comédie musicale. Enchanteur et bouleversant.
L’argument : Ginette, jeune cousette, reçoit tous les jours pendant cinq mois un billet de dix mille francs, dans une lettre cachetée dont elle ignore l’origine. D’abord troublée, puis inquiète, la jeune femme s’habitue bien vite à cette rente qui transforme sa vie — elle renonce même à travailler. Elle prend un amant mais, troublé par ces dix mille francs quotidiens de provenance inconnue, il la quitte. Découragée de perdre cet amour, Ginette l’est plus encore le jour où la rente insolite cesse d’arriver. Elle ne peut plus faire face aux dépenses engagées. C’est finalement une amie de Ginette qui lève le voile sur le généreux donateur anonyme...
De l’atelier des cousettes insouciantes, décidées à se montrer gaies coûte que coûte, à la vielle voisine de Ginette, éprise de merveilleux jusqu’à la mythomanie ; d’une concierge férue de mélodrame à une mère rigide et puritaine ; ces Ruses du diable, perle méconnue et premier long métrage d’un grand cinéaste, se situe entre le Godard de Vivre sa vie et le Demy des Parapluies de Cherbourg.
Notre avis : Premier long-métrage de Paul Vecchiali, après le coup d’essai des Petits drames, resté inachevé et désormais introuvable, Les ruses du diable ne passa certes pas complètement inaperçu à sa sortie en 1966 mais fut peu vu et peu commenté, sa réelle singularité n’apparaissant peut-être qu’après coup au regard d’une filmographie déroutante, changeant de genre sans cesse, le cinéaste lui-même insistant sur l’impossibilité pour lui de refaire deux fois le même film, mais animée de cet esprit dialectique et ce goût de la rupture qu’il revendique haut et fort et qui lui fait associer, sans tentative de compromis, ce qui a priori s’oppose.
- Geneviève Thénier - Les ruses du diable - Paul Vecchiali - La Traverse / Les éditions de l’œil
Cet esprit est bien perceptible dans ces Neuf portraits d’une jeune fille (mais y en-t-il bien neuf ?) dont La construction et les parti-pris formels obéissent à une démarche cérébrale, mathématique, sérieusement ludique (sans second degré), à des règles auto-imposées appliquées rigoureusement avant d’êtres soudain enfreintes sans prévenir, mais qui témoignent aussi d’un goût du mélodrame sans filet et de la proximité émotionnelle, de l’empathie avec des personnages se compliquant la vie, dont le réel est composite, à la fois encombré de soucis quotidiens ou digne d’un roman naturaliste (la séquence à la campagne avec la mère), et envahi par des rêves venus tout droit des chansons populaires, de la littérature de gare ou des romans-photos ; rêves qui sont en même temps des échappées et des pièges.
Le film présente ces différents univers comme aussi réels les uns que les autres, coexistants et interagissants mais pouvant aussi se cacher mutuellement comme le montre la présence obsédante à l’image de cette Rolls que personne ne voit, surtout pas l’héroïne, pourtant bien loin d’être aussi naïve qu’elle n’en a ou voudrait parfois s’en donner l’air.
- Germaine de France et Geneviève Thénier - Les ruses du diable - Paul Vecchiali - La Traverse / Les éditions de l’œil
Car Geneviève Thénier, étonnnante, fait de Ginette un personnage à la fois proche et très différent de celui qu’elle incarnait dans L’amour à la mer de Guy Gilles : à la fois gracieuse et presque vulgaire, enjouée et pleine de vitalité mais minée par la mélancolie, midinette mais se posant trop de questions, naïve et désarmée mais aussi rusée et manipulatrice.
Autour d’elle Vecchiali sait faire exister une foule de personnages fortement caractérisés, frôlant souvent une forme de grotesque inquiétant (la voyante autoritaire exprimant son mépris pour les accessoires qui font la joie des extralucides, mais toujours surprenants, imprévisibles. Le plus émouvant est sans doute la vieille voisine interpréte par Germaine de France, notamment lors de la bouleversante séquence de la virée au parc, dernier envol d’un papillon qui épuise joyeusement ses ultimes forces.
Mais cette émotion par moments très forte est tenue à distance (la fin qui rend hommage au Dieu Mizoguchi du Destin de madame Yuki), le film ne s’y complait pas plus que dans la nostalgie passéïste ou dans l’éxubérance enjouée de la comédie musicale (le feu d’artifice de couleurs de l’ouverture ; le choeur des cousettes ; les deux entrées successives de Ginette dans l’atelier, dont on croit un moment que la seconde va annuler la première).
Car la légereté grave du film repose sur l’équilibre précaire, le frottement, les sautes (d’humeur), la tension entre sentimentalisme cru (sans sensiblerie) et humour sec, entre immédiateté et distance, classicisme et expérimentaion formelle (la tentative avortée de retour à la couleur comme un effort desespéré pour s’accrocher à la vie).
Comme le dit bien Serge Bozon dans un des entretiens figurant en supplément d’une précieuse édition DVD, ce cinéma qui jamais n’arrondit les angles ignore la malice au point d’en être presque génant. C’est bien ce qui en fait le prix inestimable et le rend si nécéssaire.
Le DVD
- Les ruses du diable - Paul Vecchiali - La Traverse / Les éditions de l’œil
La Traverse et Les éditions de l’œil permettent de redécouvrir le premier long-métrage de Vecchiali grâce à une édition exemplaire sous forme de livre-DVD en même temps que trois autres titres rares du cinéaste.
Les suppléments
Publié dans une collection intitulée Oeuvres (Vecchiali) en même temps que trois autres volumes (Change pas de main ; La machine ; C’est la vie), le DVD est inclus dans un petit livre cartonné de 48 pages où on lira avec intérêt des commentaires de Paul Vecchiali, des extraits du scénario original, les textes des chansons du film, des extraits critiques (Matthieu Orléan, Louis Skorecki), ainsi qu’une filmographie du cinéaste.
Ce livre est en outre abondamment illustré de photogrammes du film et de photographies du tournage. On y trouvera aussi une reproduction de la couverture et d’une page du numéro de Mon Film dans lequel Les ruses du diable retrouvait l’univers du roman-photo dont il est en partie issu.
Les suppléments video du DVD sont abondants et passionnants :
– d’abord, et surtout, l’admirable court-métrage Les roses de la vie. Après Les Petits drames, resté au stade d’essai inachevé , ce film limpide et énigmatique, au lyrisme sans lyrisme, posait en 1962 le véritable premier jalon de l’œuvre de Vecchiali. La merveilleuse Germaine de France, actrice à la longue carrière théâtrale, ayant travaillé entre autre avec André Antoine à L’Odéon, mais aussi tourné avec Chautard et Denola à l’époque du muet puis tenu des petits rôles dans divers films des années cinquante, y incarne une vieille dame rassemblant ses économies pour aller en taxi sur les lieux où elle a vécu autrefois et se rendant compte que la maison qu’elle visite ne ressemble plus à celle dont elle a conservé le souvenir.
– Au cours d’un bref entretien, Paul Vecchiali raconte la genèse de ce premier court-métrage.
– Deux autres entretiens avec le cinéaste, réalisés en 2014 pour cette édition DVD, éclairent les circonstances de la réalisation des Ruses du diable (La caille aux raisins de Denis Epstein) et la carrière du cinéaste (Si j’osais).
De nombreuses autres interventions apportent des éclairages toujours intéressants sur le film et l’œuvre de Vecchiali :
– Mathieu Orléan : La caméra droit dans les yeux et Paul Vecchiali est un cinéaste japonais
– Eric Leroy : Un nouveau cinéma français et En toute indépendance
– Noël Simsolo : Le nouveau roman et le roman-photo et Paul voit ce qui est insolite dans le normal.
– Pascale Bodet : Chassez le naturel
– Serge Bozon : Comme un portrait chinois - tout le cinéma à lui tout seul.
– Axelle Ropert : Les grands cinéastes ne se trompent pas
– Jean-Christophe Bouvet : Le compliment de Paul
– Roland Vincent : Le cinéma en musique.
Image
La copie est très belle et ne présente aucun défaut notable. Le report impeccable rend justice à la photo signée Noël Eteradoussi, Jean-Jacques Flori, Georges Lendi et Georges Strouvé (collaborateur fidèle de Vecchiali des Petits drames en 1962 à Imogène contre-espionne en 1996) y compris pour la séquence d’ouverture en couleurs et celle, étonnante, vers la fin, où les couleurs tentent de reprendre le dessus sur le noir et blanc.
Son
Là aussi le DVD rend parfaitement justice au travail très poussé sur le mixage (voix, bruits de la rue, musiques) et aux compositions de Louis Bessières.
Galerie Photos
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