Cet homme-là pourrait être un directeur de services renvoyé à son jardin sous forme de préretraite accélérée, un ancien "jeune cadre dynamique" aux dents longues désormais ébréchées, la trentaine venue, ou un syndicaliste propulsé comme administrateur salarié et témoin distant des aléas des joutes d’entreprise... Mais non. L’auteur du recueil des nouvelles Les œufs n’est rien de tout cela. Bien au contraire. Dixit la ligne biographique de la quatrième page de couverture, Charles Gancel "dirige un cabinet de travail spécialisé dans l’intégration culturelle des grandes entreprises internationales". Le ver est donc bien dans le fruit et le Baron et autres grands prêtres du monde merveilleux de l’entreprise ont de quoi s’inquiéter.

En neuf petites histoires, Charles Gancel dresse en effet un tableau acide des rapports humains au travail. Le qualificatif humain est peut-être d’ailleurs impropre, ce premier coup d’essai littéraire s’apparentant plutôt à l’un de ces reportages animaliers illustrant avec force exemples les théories de monsieur Darwin.

Les déjeuners d’affaires assortis d’enveloppes juteuses sont ainsi comparés aux saillies d’étalons tandis que les ébats d’un service juridique en apparence conventionnel relèvent du poulailler où les poules partent à la recherche d’œufs dans l’ombre des photocopieuses. Les relations de pouvoir s’ajustent selon les ambitions et les faiblesses des uns et des autres dans un univers où l’hypocrisie graisse à point nommé les rouages du mécanisme de l’organisation. Le petit monde de la communication en prend également pour son grade avec des publicitaires prêts à tout pour obtenir quelque contrat mirifique. Mais la communication n’est-elle justement par ce fameux "lubrifiant social généralisé" qui contribue à sa façon au bon fonctionnement de la machine économique ?
Certes, le tout est inégal et certaines nouvelles frisent parfois la caricature mais la férocité du propos et le ton grinçant de l’auteur rappelleront à bien des lecteurs en vacances quelques souvenirs de bureau au risque parfois d’en rire... jaune.