Littérature francophone
Le 10 décembre 2002
En se lançant dans l’étude d’une langue africaine, un écrivain revient à la vie et se recrée un avenir.
- Auteur : Vassilis Alexakis
- Editeur : Gallimard
- Date de sortie : 15 janvier 2004
En se lançant dans l’étude d’une langue africaine, un écrivain revient à la vie et se recrée un avenir. Un voyage dans les mots d’ailleurs pour un beau roman de deuil, oscillant entre nostalgie étouffée et gaieté sur la pointe des pieds.
Résumé : Grec par ses parents, Français par ses enfants, Vassilis Alexakis se promène depuis près de trente ans d’une langue et d’un pays à l’autre. Pourquoi a-t-il donc éprouvé un jour le besoin d’apprendre et d’écrire une langue supplémentaire : le sango, idiome africain peu connu, parlé en Centrafrique ? Il espère sans doute que cette troisième langue finira par le rajeunir. Il souhaite qu’elle l’aide à retrouver ses sensations d’enfant quand l’alphabet et la grammaire grecs l’impressionnaient. Et ses élans de jeune homme que le français a aussitôt enchanté et ravi. Il doit bien y avoir encore une raison, plus secrète, la vraie raison qui l’aura décidé à mener aussi sérieusement ce projet, de Paris à Bangui, d’une île des Cyclades au lac des Sorciers..
Pourquoi prend-il la lubie à Nicolaïdès, alter ego transparent de Vassilis Alexakis, d’apprendre une langue africaine ? L’écrivain vit depuis longtemps à cheval entre le grec, sa langue maternelle, et le français, langue de la liberté qu’il habite par choix, depuis son exil pour cause de dictature des colonels. Pourquoi ajouter une strate de confusion à cette éprouvante gymnastique dichotomique ? Et pourquoi le sango, langue véhiculaire de la Centrafrique, s’est-il imposé à lui, tout à fait à son insu ?
Baba ti mbi. Le papa de moi, mon père. Baba ti mbi a kui. Mon père est mort. Et si l’écrivain reste perplexe devant ses motivations, invoquant à tout hasard Tarzan, le lion de la MGM et une lointaine parentèle jadis installée en Oubangui-Chari, le lecteur qui le voit mémoriser ses premiers mots et composer sa première phrase sourit de ses échappatoires. Enfermé dans son appartement parisien, le nez fourré dans son dictionnaire et sa méthode de sango, Nicolaïdès, au lieu d’écrire le roman promis à son éditeur, apprend cette langue qu’il juge inutile. Mais comprend peu à peu qu’elle sert d’exutoire au chagrin inattendu causé par la perte de son père. S’absorber dans une tâche semblable à une "cure de jouvence" lui donne l’impression de repartir à zéro, d’être le prolongement du petit enfant qu’il était autrefois et qui, tout seul, a appris à lire en déchiffrant les pierres tombales du cimetière voisin de la maison familiale. Il imagine le sourire de son père découvrant à quoi il occupe ses journées - recréer ce sourire encore et encore pour le garder vivant dans son coeur - et continue son voyage dans les mots d’ailleurs jusqu’en Centrafrique, là où il pourra enfin pleurer son père.
Exact pendant de La langue maternelle [1], le beau roman du deuil de la mère, retour et enquête sur la langue grecque à travers quelques mots commençant par la lettre epsilon, Les mots étrangers représente la quête métaphysique d’un homme subitement dépourvu de repères. Dans son style délié, sa langue limpide, toute de simplicité, Vassilis Alexakis nous entraîne dans son sillage d’affliction travestie dans l’apprentissage d’une langue salvatrice et réussit ce coup de force de nous faire croire que nous assimilons le sango en même temps que lui. Langue positive s’il en est, puisque la négation n’arrive qu’en toute fin de phrase, par le mot pepe apposé après l’affirmation. Langue poétique où les filles de petite vertu sont comparées à des papillons, les pupulenge. Langue inventive où, pour traduire la neige inconnue sous ces latitudes, on la compare au givre du congélateur, Blanche-Neige devenant ainsi Poussière-de-Froid. Langue farcie d’emprunts agrémentés à la sauce locale, le livre, buku, vient de l’anglais comme en s’en douterait, les Blancs, parce qu’ils n’arrêtent pas de se dire bonjour, sont traités de munzu. Langue imagée où le chant du coq à l’aube, kekereke, signifie demain... Langue si modulée que l’on parvient à se faire comprendre en fredonnant simplement. Do, sol, sol, mi, do, sol, do, baba ti mbi a kui, mon père est mort.
De son séjour à Bangui, où "la misère convoite la pauvreté", mais qui "suggère que les murs ne sont pas aussi indispensables à l’épanouissement de la vie qu’on le croit dans des villes comme Athènes ou Paris", Nicolaïdès alias Alexakis est revenu son livre écrit dans la tête. Un livre grave et gai, pudique, nostalgique et sensible. Qu’il nous permette de lui dire dans le peu de sango que nous avons retenu, combien il nous a émus. Singila mingi, merci beaucoup...
Vassilis Alexakis, Les mots étrangers, Stock, 2002, 320 pages, 18,95 €
[1] La langue maternelle, Fayard, 1995
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NATHALIE 31 décembre 2004
Les mots étrangers de Vassilis Alexakis
BALAO MINGI !
JE VIENS DE FINIR CE LIVRE : SUPER !
JE SUIS NEE EN CENTRE AFRIQUE,AI VECU A BODA PRES DE BANGUI,AINSI QUE AU CAMEROUN .MON PERE TRAVAILLAIT EN AFRIQUE ,JE SUIS FRANCAISE.
ENFANT JE PARLAIS UN PEU LE SANGO ET LE KAKA(dialecte camerounais)... IL FAUDRAIT QUE MR ALEXAKIS APPRENNE MAINTENANT LE KAKA (Cameroun)... CAR AVEC LES MOTS ETRANGERS JE VIENS DE REFAIRE UN VOYAGE EN CENTRAFRIQUE ET JE REVE DE FAIRE LA MEME CHOSE AVEC YAOUNDE ET BATOURI AU CAMEROUN ....
NATHALIE