Show must go on !
Le 19 mai 2014
Un film mythique assez atypique dans la carrière de Martin Scorsese, brillante réflexion sur les médias dans des années 80 en pleine mutation.
- Réalisateur : Martin Scorsese
- Acteurs : Liza Minnelli, Robert De Niro, Sandra Bernhard, Jerry Lewis, Diahnne Abbott, Ed Herlihy
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Splendor Films
- Editeur vidéo : Carlotta Films
- Durée : 1h50mn
- Date télé : 4 mai 2024 22:45
- Chaîne : TCM Cinéma
- Titre original : The King of Comedy
- Date de sortie : 18 mai 1983
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Résumé : Rupert Pupkin rêve de devenir le nouveau roi du rire. Employé des télécommunications, il passe l’essentiel de son temps à répéter des numéros comiques et traquer les célébrités pour compléter sa collection d’autographes. Un soir, il parvient à approcher son idole Jerry Langford, un présentateur de talk-show humoristique qui lui suggère de contacter sa secrétaire. Le lendemain, Pupkin déboule au bureau de Langford, persuadé qu’il va passer à la télévision. Après s’être fait rembarrer plusieurs fois, Pupkin décide d’employer la manière forte et met au point un stratagème avec la complicité de Masha, une fan dérangée...
Critique : Cinquième collaboration entre Martin Scorsese et son acteur fétiche Robert De Niro, La valse des pantins est une œuvre en tous points atypique. Entre critique sociale et comédie de mœurs, le film propose une vision avant-gardiste d’une société en pleine dérive médiatique, où le pouvoir de fascination des icônes est poussé à son paroxysme. Bienvenue dans un monde de faux-semblants, talk-show géant où le culte de la réussite s’érige en valeur absolue. Bienvenue dans l’envers du décor.
Mean Streets, Taxi Driver, Raging Bull, les premiers films de Scorsese traitent tous à leur manière du fameux rêve américain. Proposé à Scorsese par De Niro lui-même après le relatif échec commercial de Raging Bull, La valse des pantins n’est pas une comédie à proprement parler, d’après les mots de son auteur. D’une certaine manière, c’est un peu comme si le spectre de Travis Bickle, le héros de Taxi Driver -être esseulé et pure incarnation des malaises d’une société américaine des années 70 en pleine psychose- s’était glissé dans la peau d’un autre inadapté social en la personne de Rupert Pupkin, témoin privilégié des évolutions de la société. Si le film est fortement teinté d’humour noir, il ne cesse justement de réfuter ce que nous appellerons ici le comique de situation, celui que l’on fabrique pour obliger le spectateur à rire. Dans la vision de Scorsese, les vertus comiques naissent toujours des incroyables positions dans lesquelles se retrouvent presque involontairement ses personnages. Marionnettes du destin qui se battent pour exister dans une société malade, ils ne peuvent approcher un idéal qui s’avère complètement fabriqué et les rejette plus violemment encore. Rupert Pupkin, notre gus au nom de citrouille (« pumpkin » en anglais »), est un paumé totalement obsédé par le star-system et mu par un inextinguible besoin de reconnaissance, bien résolu à tout mettre en œuvre pour devenir lui-même celui que l’on applaudit.
- Jerry Lewis et Robert De Niro
- © 1983 20th Century Fox. Tous droits réservés.
L’intelligence du script tient dans sa grande simplicité. La valse des pantins, c’est finalement le parcours semé d’embûches d’un type se rendant d’un point A à un point B avec une volonté de fer, quitte à y laisser des plumes. La question est : va-t-il finalement réussir à donner corps à ses délires et jusqu’où le mèneront-ils ? En se focalisant sur le point de vue de Pupkin et en mettant en scène ses fantasmes, Scorsese parvient à créer une réelle tension dramatique. Mieux, les personnages sont tellement imprévisibles que la légèreté qui se dégage du film semble pouvoir basculer à tout moment du côté du drame passionnel. Si le métrage doit énormément au talent de Robert De Niro -qui livre à travers sa composition toute en nuance du personnage de Pupkin l’une des meilleures prestations de sa carrière-, il ne faut pas oublier le grand Jerry Lewis, phénoménal dans un rôle pratiquement à contre-emploi, après une longue traversée du désert. Misanthrope cynique, Jerry Langford est tout le contraire de l’image qu’il se donne à l’écran. Une manière de nous montrer que le bonheur ne dépend ni de l’argent ni de l’applaudimètre. Mais si Scorsese sur-caractérise ses personnages pour illustrer son propos, il semble plus se concentrer sur des faits qu’il ne cherche à émettre un jugement. Malgré la violence latente, l’animosité contrôlée qui se dégage de Pupkin et de sa complice -la comique américaine Sandra Berhard à la bouche proéminente qui campe une fan dérangée devenue prédatrice sexuelle-, le film présente d’emblée ses personnages comme des victimes de leur temps. Prisonniers des canons d’une société complètement sclérosée et d’images qui rythment, voire dictent leur vie, ils deviennent rapidement des archétypes qui tentent de devenir uniques.
Ce que condamne Scorsese, dont le rapport ambivalent transparaît à l’écran, ce n’est pas cette société des images dont il est lui-même un friand consommateur mais bien l’aliénation, l’aveuglement des personnes qui voient dans les vedettes un modèle vers lequel tendre. En d’autres termes, Scorsese se contente de laisser évoluer une situation de départ anecdotique et la pousse jusqu’à son paroxysme logique (Pupkin cherche à prendre la place de son idole après une phase de désacralisation progressive). La valse des pantins apparaît dès lors comme une sorte de talk-show grandeur nature peuplé de personnages absurdes qui ne devraient se trouver que dans les films mais s’offrent une incursion dans le réel pour se trouver à leur tour, juste retour des choses, sous le feu des projecteurs. Preuve de cet aspect irréel, le réalisateur utilise à de nombreuses reprises une esthétique flamboyante marquée par l’utilisation de couleurs flashy qui contrebalancent les couleurs froides du studio d’enregistrement. Il recourt également au grain typique du tournage en vidéo ainsi qu’à une bande-son très jazzy qui illustre parfaitement le côté « swing » d’une émission de télévision. Un film visionnaire malheureusement trop méconnu, à la fois tendre et amer. D’une actualité fulgurante, déchirante, à l’image de ce formidable générique où le nom des acteurs défile sur la main figée de la fan cherchant désespérément à toucher son idole à travers la vitre opaque d’une voiture. Non, les temps n’ont pas changé.
Le test Blu-ray
Tout le savoir-faire de Martin Scorsese dans une édition Blu-ray très léchée. Les bonus, eux, valent leur pesant de cacahuètes.
Les suppléments
Contrairement à beaucoup de bonus très « analytiques » (avec commentaires d’un critique qui décortique des séquences du film), cette édition fait la part belle à ceux qui ont conçu La valse des pantins. Une sorte de prolongement délicieux du film avec un Marty qui s’amuse et nous amuse grâce à son rire communicatif.
*Concrètement, l’édition propose une rencontre animée entre Scorsese, De Niro et un Jerry Lewis qui a toujours autant le sens de la vanne qui tue. Une captation réalisée lors de la clôture du Tribeca Film Festival en 2013 dans le cadre duquel le film fut projeté dans sa version restaurée. (30mn)
*On a aussi droit à un petit making-of relatant l’ambiance sur le tournage, les rapports entre Scorsese et ses acteurs, le rôle essentiel de l’improvisation et un certain nombre d’anecdotes plutôt croustillantes. Avec les entretiens de Scorsese et Sandra Bernhard. (18mn)
*Dans un rapport à l’œuvre un peu plus « sérieux », Thelma Schoonmaker, la monteuse officielle de Scorsese avec laquelle il venait juste de terminer Le Loup de Wall Street, revient sur ses méthodes de montage, sa relation privilégiée avec Scorsese, et se glisse dans la peau de Rupert Pupkin. (39mn)
*Enfin, 8 scènes coupées remontées exprès pour la sortie Blu-ray nous rappellent qu’un film, c’est aussi une question de choix. Le monologue d’introduction correspondant au show de Jerry Langford est un morceau d’anthologie à lui tout seul...
L’image
Une image extrêmement travaillée et lumineuse et un incroyable rendu des couleurs, en particulier les dominantes rouges, bleues, jaunes et vertes. Le contraste entre ces couleurs chaudes aux teintes oniriques et l’aspect aseptisé de certaines scènes est particulièrement visible ici. Mais le plus intéressant reste le rendu numérique des séquences tournées en vidéo, qui accentue l’aspect télévisuel du film voulu par Scorsese. Un grain qui donne aujourd’hui l’impression d’être transporté à une époque antérieure. Enfin, la profondeur de champ lors des mises en scène de Rupert chez lui et des séquences dans la ville offrent la sensation de se perdre dans un espace infini. Les travelling arrière de Scorsese gagnent ainsi une véritable force et nous permettent de découvrir tout un monde du hors champ qui se donne à voir avec parcimonie.
Le son
Un son cristallin et un mixage au poil pour un bon équilibre entre musique et effets sonores.
VO et VF en DTS Hd Master Audio 1.0. Les deux versions offrent une très bonne qualité d’écoute. La version originale intègre cependant mieux les dialogues à l’ensemble et est nettement préférable vu le nombre de jeux de mots utilisés.
Galerie Photos
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