Les géants - la critique

Ce conte moderne, à la fois cruel et sensible, nous replonge dans les émois de l’adolescence. Un pari réussi haut la main tant Les géants se révèle avant tout un road-movie sensitif et profondément humain.

L’argument : C’est l’été, Zak et Seth se retrouvent seuls et sans argent dans leur maison de campagne. Les deux frères s’attendent encore une fois à passer des vacances de merde. Mais cette année là, ils rencontrent Danny, un autre ado du coin. Ensemble, à un âge où tout est possible, ils vont commencer la grande et périlleuse aventure de leur vie.

Notre avis : Avec ce nouvel opus, Bouli Lanners fait un bond de géant pour s’imposer comme l’un des meilleurs représentants actuels de la création cinématographique belge, aux côtés de noms aussi prestigieux que les Dardenne, van Dormael, Belvaux ou Lafosse. Jamais deux sans trois puisqu’après Ultranova (à Berlin) et Eldorado (à Cannes), Les géants a également glané des récompenses à la Quinzaine des Réalisateurs, présidé par Bertrand Tavernier. Rien d’étonnant à ce que le metteur en scène de Coup de torchon ne tarisse pas d’éloges envers la troisième réalisation de Bouli Lanners dont la scène d’ouverture qui voit un blondinet couché sur le toit d’une bagnole en train de scruter un avion dans le ciel évoque Seuls sont les indomptés, un des nombreux westerns avec Kirk Douglas (c’est d’ailleurs Tavernier, grand cinéphile devant l’éternel, qui se charge de la présentation de la version DVD). Dans des paysages lumineux de Wallonie filmés en cinémascope, en plein cœur de l’Ardenne, ressemblant à s’y méprendre au Far West, deux pré-ados, bientôt rejoints par un nouveau venu, essayent de tuer le temps comme ils peuvent durant les vacances d’été en foulant les grands espaces verdoyants et la forêt avoisinante. À nouveau, Bouli Lanners n’a pas son pareil pour diriger un fabuleux trio de jeunes comédiens. Aidé par une musique envoûtante, il compose un univers poético-bucolique tout droit sorti du Tom Sawyer de Mark Twain, à la différence que nos trois petits cochons, sans même la moindre "tante Polly" à l’horizon pour les recadrer, sont livrés à eux-mêmes. Ils sont balancés dans un monde hostile et brutal où l’on se prend à rêver que l’unique personne ayant de la compassion pour eux, sorte de fée (la maman d’une fille trisomique jouée par l’émouvante Marthe Keller), les hébergera indéfiniment chez elle. Au fil du temps, il crée sous nos yeux ébahis, à la manière d’un peintre, une œuvre sensible, généreuse, loufoque, atypique qui fait se télescoper l’humour totalement surréaliste (hérité de ses origines wallonnes et de sa tribu grolandaise), la solitude traitée par Wenders à ses débuts, et l’affection pour les petites gens sous une forme poétique (chère à Kaurismäki) dans un décor naturel à perte de vue. Cependant, derrière ce tableau idyllique se cache une réalité en phase avec l’actualité transposée sous forme d’un conte cruel. Comme chez Gus Van Sant, les parents ont depuis longtemps démissionné de leur rôle éducatif pour laisser leurs rejetons faire les quatre cents coups. Chapeau bas (mais ne devrait-on pas plutôt dire "casquette basse") l’ami Bouli pour ce Stand by me à la sauce ardennaise !