Le 15 septembre 2019
Le livre de Karine Tuil excelle à capter les maux de la société contemporaine, à travers une évocation sans concession des rapports hommes-femmes.
- Auteur : Karine Tuil
- Collection : Blanche
- Editeur : Gallimard
- Nationalité : Française
- Date de sortie : 22 août 2019
- Plus d'informations : Le site officiel
- Festival : Rentrée littéraire 2019
Résumé : Les Farel forment un couple de pouvoir. Jean est un célèbre journaliste politique français ; son épouse Claire est connue pour ses engagements féministes. Ensemble, ils ont un fils, étudiant dans une prestigieuse université américaine. Tout semble leur réussir. Mais une accusation de viol va faire vaciller cette parfaite construction sociale. Le sexe et la tentation du saccage, le sexe et son impulsion sauvage sont au cœur de ce roman puissant dans lequel Karine Tuil interroge le monde contemporain, démonte la mécanique impitoyable de la machine judiciaire et nous confronte à nos propres peurs. Car qui est à l’abri de se retrouver un jour pris dans cet engrenage ?
Notre avis : Après le racisme et son omniprésence dans notre société, qui étaient au fondement de L’insouciance, c’est au viol et aux rapports de force entre hommes et femmes que Karine Tuil s’attaque. Une nouvelle fois, son histoire est un choc des classes et des milieux, les politiques et les journalistes étant aux premières loges de cette confrontation. Les riches et les puissants, les intellectuels et les manipulateurs sont ceux que Karine Tuil choisit de mettre en lumière, au centre de la scène. Les Farel ont toujours tout misé sur leur réputation : leur couple n’est plus qu’une façade, mais tous deux l’assument et vivent leur vie chacun de leur côté, jusqu’à ce que l’amour s’en mêle et que leur unité factice se brise. Claire est essayiste et féministe, tandis que son mari, Jean, est un journaliste réputé et craint. Leur fils, Alexandre, étudie à Stanford, après avoir fait Polytechnique. Le père est cynique, a du pouvoir et ne conçoit pas la contradiction. La mère fait sans doute montre de plus d’humanité, tant dans son travail que dans ses rapports aux autres et surtout, à son fils. Seulement voilà, toutes ces apparences vont voler en éclats, lorsqu’une accusation de viol accable cette famille, si parfaite, vue de l’extérieur.
Le style particulier de Karine Tuil parvient à nous happer totalement : si, au début du récit, ses phrases sont très longues, jalonnées de points virgule, peu avares du dash, pour donner le ton et poser le décor, elles se raccourcissent progressivement. Pourtant, on sent qu’infléchir son style lui coûte, au moins un peu. On retrouve d’ailleurs quelques réminiscences de ces longueurs à certains endroits. Le rythme est donc enlevé, le suspense bien là, et chaque chapitre se concentre alternativement sur l’un des personnages clés. Tandis que le premier tiers du livre évoque la famille, les jeux de pouvoir, la situation privilégiée de chacun de ses membres, les deux secondes parties s’intéressent au procès, aux audiences. Le lecteur sera sans doute perturbé par le point de vue choisi par l’auteure : notre vision de la réalité épouse celle de la famille de l’accusé et de ce dernier, au début en tout cas. C’est sa perception qui transparaît dans ces pages, son déni, son incompréhension apparente de la situation. S’intercalent l’audition de la victime, complètement tétanisée et en larmes, les questions qu’on lui pose et ses réponses ébranlées et chaotiques, mais aussi l’audition de l’accusé, les témoignages, les plaidoiries des avocats de la partie civile et de la défense. Ce dernier citera d’ailleurs Nietzsche, résumant ainsi parfaitement les faits : « La vérité n’existe pas. Il n’y a que des perspectives sur la vérité. ».
L’auteure excelle une nouvelle fois à raconter les maux de la société contemporaine, faisant toujours osciller le lecteur entre certitude de culpabilité et présomption d’innocence. Cette « zone grise » évoquée par l’avocat, entre consentement et refus sidéré, est, d’après Karine Tuil, très fréquente. Pour préparer ce roman, elle a en effet assisté à de très nombreux procès d’assises et confie que les violeurs sont presque toujours dans le déni, dans cette incapacité à reconnaître le mal qu’ils ont commis, leurs actions. Sont aussi au cœur de sa réflexion les privilèges dus à la classe sociale : le livre s’ouvre peu avant que les violeurs de Cologne ne commettent leurs méfaits du nouvel an 2016, et en parallèle, un étudiant brillant, sportif et intelligent se retrouve suspecté de viol. Les premiers sont acculés de toutes parts, et on accorde le bénéfice du doute au second – tout du moins, les puissants le font, les média, c’est une autre histoire. Il s’agit donc d’un livre actuel, qui naît au cœur du mouvement #MeToo et des procès contre le producteur Weinstein et l’homme d’affaires Epstein. La parole des femmes se libère et les hommes ont tous une part de culpabilité, voilà ce que semble affirmer ce roman qui, pourtant, laisse planer un flottement autour de ces « vingt minutes d’action » - citons Jean Farel.
Une certitude se dégage de cette lecture : Karine Tuil réussit mieux que quiconque à raconter "les choses humaines".
Les choses humaines - Karine Tuil
Gallimard
140 x 205 mm
352 pages
La chronique vous a plu ? Achetez l'œuvre chez nos partenaires !
Galerie photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.
Sébastien Thomas-Calleja 18 septembre 2019
Les choses humaines - la critique du livre
J’avais déjà très envie de le lire... mais là, ça devient urgent ! Une chronique très convaincante ;-)
Cécile Peronnet 22 septembre 2019
Les choses humaines - la critique du livre
Le but est atteint alors ;-) c’est un beau roman, très complet et intelligemment construit qui ne peut pas laisser le lecteur indifférent.