4h44 Dernier jour sur terre
Le 1er septembre 2016
Bravant l’aridité d’une mise en scène tout entière portée par le verbe et le bruit des feuillages, Wenders célèbre le langage et l’érotisme avec une verve des plus littéraires. Où la 3D donne corps à un paradis perdu avant l’apocalypse.
- Réalisateur : Wim Wenders
- Acteurs : Nick Cave, Reda Kateb, Sophie Semin
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Allemand
- Distributeur : Alfama Films
- Durée : 01h37mn
- Box-office : 9.073 entrées France / 4.918 entrées P.P
- Date de sortie : 9 novembre 2016
- Festival : Festival de Venise 2016
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Année de production : 2016
Mostra de Venise 2016
Résumé : Un beau jour d’été. Un jardin. Une terrasse. Une femme et un homme sous les arbres, avec un vent d’été doux. Au loin, dans la vaste plaine, la silhouette de Paris. Un dialogue commence, des questions et des réponses entre la femme et l’homme. Il s’agit d’expériences sexuelles, d’enfance, de souvenirs, de l’essence de l’été et de ce qui différencie les hommes et les femmes, la perspective féminine et la perception masculine. Derrière, dans la maison qui donne sur la terrasse, sur la femme et l’homme : l’écrivain, en train d’imaginer ce dialogue et de le taper à la machine. Ou est-ce l’inverse ? Seraient-ce les deux personnages, là dehors, qui lui racontent ce qu’il couche sur le papier : un ultime et long dialogue entre un homme et une femme ?
Notre avis : Wim Wenders poursuit ses velléités expérimentales à l’égard de la 3D avec Les Beaux Jours d’Aranjuez, après Pina (2011) et Every Thing Will Be Fine (2015). Alors que son cinéma menaçait ces dernières années de passer pour lambda, à force de troquer l’ampleur théorique contre une forme presque normalisée, le cinéaste allemand se transcende dans un drame porté par Reda Kateb et Sophie Semin. La contre-culture qui émaillait ses premiers longs métrages affleure étrangement en une saisissante musicalité ici. Plutôt qu’une mise en scène sur-signifiante, le réalisateur opte pour des plans fixes et des échanges d’une profondeur rare au cinéma. Comme si tous les non-dits et les interdits rejaillissaient dans une pulsion toute libidinale par la seule force du langage. Plus que la langue et les mots, la caméra du papa de Paris, Texas scrute les corps de ses protagonistes, les enferme dans une nature originelle pour les regarder vivre et sécréter leurs désirs. Filmer les vicissitudes intérieures, une gageure dont se repaît Wenders avec une étonnante vivacité.
Le réalisateur semble avoir imaginé cette adaptation d’une pièce de théâtre de Peter Handke à l’image du film posthume de Manoel de Oliveira, Visite ou Mémoires et confessions. Après avoir arpenté en steadycam les Champs Elysées depuis la Concorde et ses abords - magnifique utopie sur fond du "Perfect Day" de Lou Reed que ce Paris délesté de ses passants et de sa circulation -, le spectateur est convié dans une maison bourgeoise dont le jardin offre une vue à l’horizon sur le quartier de La Défense. Joli oxymoron. La végétation balayée par le vent est luxuriante, et l’été bat son plein, baignant le tout d’une atmosphère de paradis. À l’intérieur de cette vaste demeure intrinsèquement nostalgique, entre ses livres et ses souvenirs, un écrivain mélancolique s’affaire sur sa machine à écrire. Tantôt articule-t-il les phrases de sa pièce en français, tantôt en allemand - sa langue natale -, comme pour mieux fixer une idée. S’agit-il d’une projection de Wenders lui-même, de l’introduction de Peter Handke dans le récit, lui qui a écrit "Les Beaux jours d’Aranjuez" directement en français ? Les deux, peut-être. L’auteur au regard doux et timide - cette image de l’Homme dont parlera la femme incarnée par Sophie Semin avec amour, compassion et pitié -, jonglant entre son jukebox et son bureau, superpose mentalement la table mignature qu’il a devant les yeux avec la terrasse fleurie qu’il aperçoit depuis la fenêtre. Aussitôt apparaissent Reda Kateb et Sophie Semin, protagonistes dépourvus de noms, à mesure que l’écriture de la pièce se matérialise dans l’esprit de son auteur. Ce couple sera la clé de voûte de Les Beaux jours d’Aranjuez, comme l’étaient dans une certaine mesure les deux inconnus s’avançant en vision subjective dans le Visite ou Mémoires et confessions de Oliveira. Ce moment qu’ils vivent ensemble pourrait aussi bien n’être qu’une allégorie intemporelle qu’un événement ancré dans un monde réel. Entre eux, un jeu de "ni oui, ni non" millimétré et préparé s’instaure : Reda Kateb pose les questions intimes, Sophie Semin s’y soumet. Conditions particulières : construire le dialogue à l’image de l’été, toujours paisible et jamais avec colère et impétuosité. Une certaine morale, aussi, immanente, semble de mise de par la tournure des questions. "Cette question n’est pas valable", répondra par exemple la femme avant de rappeler les règles du jeu.
Assis de part et d’autre d’une table en bois sur la terrasse, au beau milieu d’un jardin d’Eden allégorique, le duo rejoue en filigrane une scène classique de la Bible. Une pomme trône sur la table non loin d’un téléphone et d’un paquet de cigarettes. L’homme désire connaître la nature du premier ébat amoureux de la femme. La femme, usant des possibilités sans borne du langage, s’engage dans une introspection tellurique proche du livre "Vendredi ou Les limbes du Pacifique" de Michel Tournier. Le sexe n’apparaît plus à travers ses paroles comme cette chose dépourvue d’aspérité - pathologie du monde moderne -, mais s’intègre dans une cosmologie originelle, permet d’ausculter son rapport au monde. Ou au contraire de se venger symboliquement des hommes sur un plan universel. Très cultivé et littéraire, Les Beaux jours d’Aranjuez l’est assurément. Un peu trop, sans doute. Malgré son aridité, cependant, jamais le piège de l’emphase pour l’emphase n’embrase le dispositif. Outre le millefeuille de mises en abyme, Wenders en savant théoricien, use de toutes les opportunités que lui offrent la 3D. La mise en scène n’a beau que se contenter d’allers-retours entre le duo amoureux et l’auteur à mesure que celui-ci réfléchit à leur dialogue, elle n’en est pas moins vibrante. En sus de la langue soutenue, sautant inlassablement de la philosophie à quelque chose de plus prosaïque, les feuillages alentours et les plantes, l’herbe flottant au gré du vent, le soleil baignant le tout d’une lumière virginal, contribuent à densifier le propos. Mieux : Wenders met en place un dialogue perpétuel entre l’image et les mots, le signifiant et le signifié. Telles ces irruptions dans le cadre du jardinier coupant une branche lorsque le désir se dérobe à la femme, ou encore ce chien errant dans la profondeur de champ. De quoi non pas illustrer mais répondre, ou montrer que notre monde est un tout, que nos faits et gestes s’intègrent dans une universalité – vous avez dit mystique ? Depuis les premiers pianotages sur la machine à écrire de l’auteur jusqu’au gros plan final façon fin du monde sur les pixels de la toile captée par la caméra numérique - manière de déployer le dialogue engagé jusqu’au support même - en passant par le spectre éthéré de Nick Cave interprétant "God is in the House", Wenders fait montre d’une liberté et d’une inventivité stupéfiante. Un bien bel éloge de l’amour et d’un septième art peu frileux face à sa contemporanéité.
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