Le 30 novembre 2015
Un film violent, âpre, difficile, qui révéla un cinéaste en même temps qu’une exigence nouvelle.
- Réalisateur : Niko Papatakis
- Acteurs : Francine Bergé, Pascale de Boysson, Colette Bergé
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Français
- Editeur vidéo : Gaumont DVD
- Durée : 1h30mn
- Date de sortie : 19 avril 1963
- Festival : Festival de Cannes 1963
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– Sortie DVD : le 9 décembre 2015
– Grand Prix de l’Académie du Cinéma 1963
Un film violent, âpre, difficile, qui révéla un cinéaste en même temps qu’une exigence nouvelle.
L’argument : Une famille de bourgeois ruines est harcelée et humiliée par leurs jeunes bonnes, sans salaire depuis plusieurs mois
Notre avis : Les Abysses est, comme son titre l’indique, une plongée profonde, à la fois dans un duo déréglé de sœurs et dans une violence tragique et hystérique qui détruit tout. Autant dire que ce n’est pas un film facile : le jeu des comédiens est outrancier et évoque le théâtre d’avant-garde des années 50 ; le scénario qui part d’un fait divers célèbre, celui des sœurs Papin, n’a rien d’une reconstitution pointilleuse : c’est une réinvention très écrite, très littéraire. Pas de compromis ici, c’est la tragédie grecque qui est visée, dans son austérité comme dans le sens du destin inexorable. Évidemment, on n’a pas affaire à un cinéma de distraction ; la tension permanente rend le film oppressant, lourd, asphyxiant.
Lors de sa sortie, Les Abysses a provoqué un scandale : refusé à Cannes, défendu par cinq écrivains, et non des moindres, dans Le Monde (Beauvoir, Breton, Genet, Prevert et Sartre), visionné par Malraux qui l’imposa au Festival, encensé ou détesté, il a été vu comme une œuvre excessive et éminemment politique. Michel Ciment dans les bonus rappelle l’analogie d’époque : la famille représentait la France, le père De Gaulle, les sœurs les Algériens en lutte et la fille, Élisabeth, les intellectuels de gauche passifs malgré leurs bonnes intentions. Si cette grille de lecture s’est perdue, reste le dernier carton : « Qui est vraiment coupable ici ? » , qui oriente notre esprit vers une interprétation marxiste. Alors l’exploitation des sœurs, l’aliénation du travail, le mépris des pauvres, la folie et la violence comme seule réponse, deviennent une illustration simplifiée d’une vision du monde. Ce serait singulièrement réducteur ; car si le film irrite ou séduit encore aujourd’hui, c’est par ses partis-pris de mise en scène. Papatakis veut éveiller le spectateur et met tout en œuvre pour le secouer, grâce aussi à une caméra précise, en mouvement. Et quand l’explosion a lieu, quand la violence se déchaîne après avoir été contenue si longtemps, le montage hache l’action qui déborde du cadre. Le cinéaste creuse les visages, réinvente l’arrêt sur image ; mais cette mise en scène est au service d’une vision, habitée de l’intérieur. Car dans cette micro-société, les humains sont lâches et sordides. Rien ne vient les racheter. Les deux sœurs mêmes, sales, névrosées, sont des brutes que l’explication sociale ne sauve pas.
Dans ce jeu de massacre, Papatakis exacerbe les sentiments, moins par les dialogues que par une gestuelle excessive : les personnages s’étreignent avant de se gifler, se crachent dessus, se jettent des projectiles. Pas une réplique quasiment qui ne soit « normale ». Les objets eux aussi deviennent des armes, comme le fer à repasser, ou acquièrent une dimension symbolique (le fauteuil, par exemple). On le comprend, Papatakis refuse non seulement tout réalisme, mais aussi toute improvisation voire tout relâchement. Rien qui ne soit pesé, pensé, ce qui ajoute à l’oppression ressentie. Car il faut bien l’avouer, ce film, passionnant, unique, est également une épreuve à la limite du supportable ; qu’on n’imagine pas une heure et demie de détente autour d’un fait divers. Les Abysses réclame un spectateur curieux et bien disposé. À ce prix, c’est une expérience difficile mais enrichissante, forte en tout cas et, même si l’expression est galvaudée, le film ne peut laisser indifférent.
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