Weinstein ou la romance américaine
Le 16 février 2018
Le scénario de l’affaire Weinstein, ce puissant producteur de cinéma libidineux et abusif dont les agissements ont été dénoncés en 2017 par ses victimes, avait été écrit en 1992 par Martin Crimp.

- Genre : Théâtre (spectacles)
- Plus d'informations : Le site du théâtre de la ville

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Résumé : Jeune fille solitaire dans le maelström new-yorkais, Anne cherche sa voie. Elle tente sa chance chez un couple de producteurs en quête d’une héroïne pour leur prochain film. Les voilà fascinés par le récit de la séquestration et des violences morales qu’elle dit avoir subies tout au long de sa vie. Vrai ? Faux ? Après tout, peu importe. Elle a su donner aux hommes qui l’écoutent l’envie de travailler avec elle, de rester près d’elle. Le traitement cinématographique donnera-t-il réalité aux mauvais traitements évoqués ? Nous sommes chez le très britannique Martin Crimp, pour qui New York, où il a séjourné, est une ville maudite et le milieu cinématographique un monde fascinant mais dévorateur. Mais le metteur en scène, Rémy Barché nous prévient : « sans jamais se départir des ambiguïtés de l’humour et de l’onirisme ». Colette Godard
Notre avis : L’actualité, le recul de nos sociétés, transforment ces représentations en actes militants pour le respect de la femme. Avant d’en venir au sordide, Rémy Baché propose le pré-traitement, un premier texte poétique, Le Messager de l’amour, mis en introduction pour adoucir le cynisme de la pièce qui lui suit. A moins que ce ne soit sa conséquence...
Une jeune femme en robe longue, assise sur une chaise haute de trois mètres semble léviter sur la scène entièrement noire. La comédienne enchaîne les prises de vues comme une actrice devant une caméra. Les prises sont nombreuses pour dire l’amour de ce messager anonyme qui va et qui vient et qui fait, par sa présence, la météo des beaux jours.
Crimp a-t-il lu passionnément Becket, Duras, Pinter ? Est-il l’enfant spirituel des trois ? Il parle de l’ambivalence du sentiment, il grossit la description de certains détails visuels, d’un homme surgissant de l’horizon : un point, une silhouette, une tête sur une épaule, une langue dans une bouche, des dents qui brillent... juste des indices face à l’indescriptible bonheur... puis une inversion négative vers le sale, vers la violence contraignante, les mauvais jours dont nous définissons le degré de noirceur... c’est de la poésie S.M. pour intello...
C’est bien joué, la comédienne est fraîche, le décor est intéressant. Apparaît parfois l’immense visage émergeant de la nuit de ce qu’on suppose être le dulciné(e)... c’est l’amour vache selon Crimp. Harold Pinter dont on dit qu’il est le descendant doit se retourner dans sa tombe.
Dans le second texte, on retrouve une dramaturgie américaine classique même si l’auteur est britannique : showbiz, notoriété, violence, compromission générale, opportunisme sordide, rapports humains sans amour... du Weinstein cuvée 2017.
Le propos : Anne, une jeune femme violentée par son mari, propose son histoire à un couple de producteurs de cinéma.
Tous les comédiens de cette distribution sont remarquables. Il fallait bien cela pour donner du caractère à cet humour gentiment cynique, ce texte un brin stéréotypé. On y croit, grâce à leur talent, sensible aux timbres de voix qui nous sont familières pour les entendre dans les doublages VF... Quant à la mise en scène, Rémy Barché a su dompter l’image vidéo pourtant de très grande taille puisqu’elle habille tout le fond de scène. Des symétries planantes des tours new-yorkaises et la valse de méduses fluorescentes nous hypnotisent selon le lieu de l’action : bureau ou resto jap’. Sorte de radeaux flottant sur la brillance noir pétrole de ce monde impitoyable, des plateaux mobiles symbolisent les lieux. Les comédiens avancent et reculent vers le spectateur au gré de l’action. Lors d’une scène, le plateau tourne sur lui-même, nous permettant, comme dans un travelling de cinéma, de voir les comédiens sous tous les angles. Une retransmission du portrait d’Anne est projetée en live et en grand. On voit son jeu dans le détail. Heureux mariage du théâtre et du cinéma.
Toute cette production est d’une grande qualité mais n’est-ce pas faire un peu trop honneur à un texte (1992) qui s’avère avec le temps, un cliché pâle, moins intéressant que n’importe quel premier épisode d’une série à ce sujet sur une chaîne de vidéo à la demande ? Ou le récit détaillé dans un journal à scandales de la répugnante affaire Weinstein...
Faîtes-vous votre idée !
Le Traitement au Théâtre de la Ville à Paris
Avec : Emil Abossolo Mbo, Baptiste Amann, Suzanne Aubert, Pierre Baux, Thierry Bosc, Victoire Du Bois, Catherine Mouchet
Texte : Martin Crimp
Traduction : Elisabeth Angel-Perez (Le Traitement),
Christophe & Michelle Pellet (Le Messager de l’amour)
Mise en scène : Rémy Barché
Assistante à la mise en scène : Alix Fournier-Pittaluga
Scénographie : Salma Bordes
Costumes : Oria Steenkiste
Lumières : Florent Jacob
Création sonore : Antoine Reibre
Création vidéo : Stéphane Bordonaro
Accessoirs : François Gauthier-Lafaye