Une femme qui renonce définitivement à sa musique pour celle de son mari. Deux amants sous le feu du bombardement de Rotterdam. Un tailleur qui fuit la guerre pour le Nouveau-Monde. Un chirurgien qui sauve la vie d’un dignitaire nazi avant d’être déporté. Une jeune fille enfin heureuse mais bientôt morte. Chez Anna Enquist (du moins dans les six monologues qui composent les cinq nouvelles de ce recueil), le saut est souvent définitif.
L’auteure néerlandaise, qui fut d’abord psychanalyste, a trouvé dans le monologue un terrain de jeu propice au questionnement des ressorts des individus. Se mêlent dans Le saut les regrets (ceux d’Alma Mahler, devenue mère et muse mais qui se rêvait compositrice), l’orgueil (avoir été aimée de Klimt et inspirer Gustav Mahler n’est pas rien), le désir et l’aveuglement (les amoureux, même sous les bombes, sont seuls au monde), l’envie, le devoir ou encore la résistance se faisant folie chez cet émigré polonais qui se perça les tympans pour empêcher les mots étrangers de lui faire perdre son identité.
Pas de pathos chez Anna Enquist. Une langue brute, directe, à double tranchant : on peut aimer (trois de ces nouvelles ont été portées à la scène aux Pays-Bas) ou rester froid, pas tant en raison de ce ton clinique (qui colle à merveille aux récits du docteur ou du petit tailleur) qu’à cause de ces pensées semblant souvent parachutées. Mais il est vrai que maintenir un monologue en équilibre sur le fil de la tension dramatique est un exercice des plus délicats.