La cruauté discrète de la bourgeoisie
Le 10 septembre 2002
Attaques assassines contre les jeux de masques de la bourgeoisie.
- Réalisateur : Manoel de Oliveira
- Acteurs : Leonor Silveira, Leonor Baldaque
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Portugais
- Editeur vidéo : Gemini Vidéo
- Festival : Festival de Cannes 2002
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– Durée : 2h12mn
– Titre original : O principio da incerteza
– Regards croisés : Le principe de l’incertitude, le roman d’Agustina Bessa-Luís
Attaques assassines contre les jeux de masques de la bourgeoisie.
Le principe de l’incertitude n’est pas moins que le douzième film de Manoel de Oliveira présenté à Cannes. Une fois encore, le prolifique réalisateur s’associe à sa complice de toujours, la romancière Augustina Bessa-Luis, pour tisser ses sortilèges narratifs et ciseler des attaques assassines contre les faux-semblants de la bourgeoisie.
Dans le cadre austère d’une maison bourgeoise où les bruits s’étouffent pour laisser place au tic-tac de l’horloge, un drame va se jouer entre quatre personnages. Le riche Antonio (Ivo Canelas) et José (Ricardo Trepa), le fils de la servante, partagent tout depuis leur enfance. Les jeux de l’amour lient leur destin plus étroitement encore. Pour plaire à sa famille, Antonio épouse Camila (Leonor Baldaque), dont José est amoureux, sans pour autant rompre avec sa maîtresse, la dangereuse Vanessa (Leonor Silveira) qui est aussi l’associée de José lorsqu’il s’agit de diriger de peu avouables affaires.
Jamais la cruauté des valeurs bourgeoises n’aura été aussi cyniquement démasquée autour d’une tasse de thé que dans ce Principe de l’incertitude, de Manoel de Oliveira. Les personnages affectent un détachement et une distinction qui cachent en réalité leur convoitise, leur volonté de pouvoir et leur désir de luxure. Chacun contrefait la vertu, la piété, la noblesse d’âme, sans se douter que ces mensonges qu’ils distillent comme un poison les feront pourtant pourrir eux aussi peu à peu, jusqu’au drame.
Camila est la victime de ces petits arrangements, sacrifiée sur l’autel des mensonges garants de la respectabilité de la famille. Jusqu’au bout, les intentions de ce personnage restent obscures. Pourquoi subit-elle si passivement les humiliations d’Antonio et de Vanessa, pourquoi accepte-t-elle le mariage alors que José lui a avoué son amour ? La crainte de la pauvreté ne suffit pas à expliquer une telle abnégation.
Comme Jeanne d’Arc qu’elle vénère, Camila pourrait être une martyre et une mystique, du moins en apparence, car son étrange sourire laisse deviner une nature plus complexe, moins innocente. On la soupçonne d’éprouver une joie perverse à se complaire dans son rôle de victime tandis qu’Antonio et Vanessa se perdent sans le savoir, aveuglés par leur vanité. Le masque de Leonor Baldaque ne se fissure jamais pour laisser percer le secret de Camila, et le spectateur reste avec ses interrogations.
Le principe de l’incertitude marque surtout par la composition picturale de ses cadres. Manoel de Oliveira utilise de longs plans séquences qui insufflent à son film un rythme particulier, empli de mystère. Il a une manière réellement littéraire de mener l’intrigue, de contempler les splendides paysages de la région du Douro, d’amener ses personnages à se dévoiler. A aucun moment il ne recourt à des mouvements de caméra compliqués, jamais la chair n’est exhibée, elle qui est pourtant au centre de cet insupportable trafic des êtres qu’abrite cette grande demeure bourgeoise.
A la sortie du film, le spectateur reste pénétré par la puissance de certaines répliques. L’un des dialogues les plus marquants se joue entre Camila et Vanessa : "Votre pouvoir est transitoire. Vous n’êtes pas encore arrivée au premier pas de l’intelligence." "Et quel est ce premier pas de l’intelligence ?", demande Vanessa. "C’est la bonté."
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