L’étoffe des héros
Le 28 avril 2004
Dans un roman-enquête saisissant, Claude Duneton fait revivre les vingt-sept jeunes gens disparus pendant la grande tuerie de 14-18 et figurant sur le monument aux morts de son village natal.
- Auteur : Claude Henriod
- Editeur : BALLAND
- Genre : Roman & fiction
- Date de sortie : 8 janvier 2004
Lagleygolle, Corrèze, 11 novembre 1964. En pleine commémoration de l’armistice, le père de Claude Duneton pète les plombs devant le monument au morts. "Oh, vous pouvez en faire des grimaces ! Si vous saviez la saloperie que c’était, la guerre ! Ah, nom de Dieu de nom de Dieu !" Ce bref scandale villageois aboutit, quarante ans plus tard, au devoir de mémoire que s’est assigné l’écrivain : faire revivre les vingt-sept noms gravés sur la stèle.
Ce "monument" de cinq cents pages, à la fois roman et enquête, réinvente la courte vie de ces hommes, partis à la guerre au temps des moissons, comme pour des grandes vacances en uniformes bariolés. Partant du Journal des Marches et Opérations des divers bataillons auxquels ils étaient affectés et d’une minutieuse enquête sur le terrain, l’écrivain les suit pas à pas. Mettant en contrepoint la vie à Lagleygeolle, à la fois âpre et amène, il les sort de l’anonymat de la chair à canon et dit tout de l’épouvantable carnage : les poux, les rats, la peur au ventre, les corvées de feuillées nauséabondes, l’odeur insoutenable des cadavres en décomposition entre les lignes ennemies, parfois distantes d’une centaine de mètres à peine, la dysenterie, la typhoïde (qui a elle seule fera plus de onze mille morts et dont le père de Duneton réchappera), le rata immangeable, la pluie qui ruisselle dans les tranchées, le manque de sommeil, la gnôle distribuée avec largesse avant l’attaque, les corps-à-corps à la baïonnette et au couteau. Hommes soumis à une existence d’animaux. Et cette guerre qui se "perfectionne" au fur et à mesure qu’elle s’enlise. Tenue bleu horizon, bandes molletières et casque viennent remplacer pantalon garance et calot des débuts mais ne sont pas plus efficaces contre les nouveautés de l’escalade dans l’horreur : bombardement aériens, gaz toxiques...
Comment survivre en attendant d’être fracassé, égorgé, déchiqueté, pulvérisé ? En se serrant les coudes. La camaraderie est un bien précieux sur le front. Celui-ci qui écrit pour vous qui êtes illettré, cet autre, un Parigot le plus souvent, qui sait encore plaisanter et vous remonter le moral à coup de bons mots, et cet autre encore qui vous porte alors que vous étiez prêt à vous coucher et à attendre la mort libératrice. Et puis il y a ces moments de bonheur incommensurable où l’on rencontre un gars du pays et où l’on peut échanger avec lui quelques mots en patois, la langue du cœur, celle d’une vie simple et rude, faite de travaux des champs et de sentiments rocailleux. Alors que le français, pour ces hommes-là, est devenue la langue de l’épouvante. Une épouvante qu’ils n’ont jamais pu dire mais que Claude, fils de Jacques le rescapé, et fils adoptif autoproclamé des vingt-sept jeunes gens figurant sur la stèle de son village natal, revit et dit pour eux. Avec tendresse, avec émotion. Et avec rage aussi. Tout ça pour quoi ?
Claude Duneton, Le monument, Balland, 2004, 520 pages, 20 €
– Regards croisés : Sur le thème de la Grande Guerre, lire aussi nos critiques de Dans la guerre d’Alice Ferney et des Âmes grises de Philippe Claudel, prix Renaudot 2003
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Josette Arigno 16 octobre 2004
Le monument - Claude Duneton
Eprouvant, émouvant, aussi admirable pour le travail de recherche que pour le poids des mots, Le Monument de Claude Duneton est l’un des plus impressionnants érigés au souvenir d’un massacre impardonnable.