Chair à canon
Le 15 octobre 2003
De l’émotion à fleur de page pour rendre justice aux sacrifiés d’une guerre que l’on a dit grande.


- Auteur : Alice Ferney
- Editeur : Actes Sud
- Genre : Roman & fiction, Littérature blanche
- Prix : RENAUDOT

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Ni gloire ni triomphe dans cette tourmente qui jette le lecteur dans la boue des tranchées et l’interminable attente. De l’émotion à fleur de page pour rendre justice aux sacrifiés d’une guerre que l’on a dit grande.
Le titre à lui seul dit déjà tout. Le reste, c’est l’horreur. L’horreur de ces quatre ans de boucherie, de peur, de sang, de mort, de vanité, d’inconscience. On est dedans. Sans masques, sans fard. Les obus pleuvent dans la boue des tranchées, dispersant, déchiquetant, démembrant ce qui avait été un frère, un ami.
Jules quitte Félicité aux premiers jours de la guerre. Prince, le chien fidèle traverse la France à la rencontre de son maître et vit la bataille sans rien comprendre à cette folie, sinon que Jules l’aime, qu’il aime Jules et qu’il l’a retrouvé. Le récit alterne la trivialité des combats, le désespoir de l’attente des femmes, et les mensonges que l’on s’échange dans des pages effacées par les larmes.
Que n’a-t-on dit, sur cette guerre... ? Que n’a-t-on écrit... ? Alice Ferney y ajoute l’insupportable du quotidien. Quand l’absent est déjà presque mort, quand l’image de la femme aimée s’efface de la mémoire, quand les doigts perdent le souvenir d’un corps. Car les tranchées sont remplies de ces femmes, celles qu’on a laissées, celles d’une nuit ou d’une vie, celles aussi qu’on ne connaîtra peut-être jamais, quand on attrape furtivement quelques mots sur la lettre du voisin, pour savoir comment ça fait.
La guerre, ce sont aussi ces enfants de l’amour et de la mort, fils de héros qui n’auront jamais de père, poussés dans les larmes et les regrets. Ce sont ces femmes qui doivent survivre à l’anéantissement, revivre du désastre.
Et puis ce sont les doutes, les idéaux balayés par la mitraille, et savoir si l’on peut encore vivre quand on a vu. Si l’on peut encore aimer, tenir un corps entre ses bras, reconnaître la beauté quand quatre ans d’existence ont été quatre ans de charnier.
Alice Ferney dit la guerre simplement. Pas la gloire des généraux, mais les liens que la mort rend précieux, l’absence, la perte, la mémoire, et au-dessus de tout, absurde, la vie.
Alice Ferney, Dans la guerre, Actes Sud, 2003, 482 pages, 21,80 €
– Regards croisés : Sur le thème de la Grande Guerre, lire aussi nos critiques du Monument de Claude Duneton et des Âmes grises de Philippe Claudel, prix Renaudot 2003