Le 24 juillet 2019
- Avertissement : Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs
- Titre original : Dansker
- Scénariste : Halfdan Pisket>
- Dessinateur : Halfdan Pisket
- Traducteur : Jean-Baptiste Coursaud
- Collection : Lune Froide
- Genre : Chronique sociale
- Editeur : Presque Lune
- Famille : Roman graphique
- Date de sortie : 11 octobre 2018
- Titre original : Dansker
Entre roman noir et chronique sociale, à travers la biographie du père immigré de l’auteur dans le Danemark contemporain.
Résumé : Dansker est le troisième tome d’une trilogie en bande dessinée écrite et dessinée par le danois Halfdan Pisket qui la consacre à la biographie de son père, James Pisket. Cet album a fait partie de la sélection internationale du Festival de bande dessinée d’Angoulême pour l’année 2019 et en a obtenu le Prix Fauve. Le héros de cette trilogie, James Pisket, seul narrateur du livre, face à l’assistante sociale dont il sollicite l’aide, commence par se remémorer son enfance à la frontière de la Turquie et de l’Arménie, sa désertion de l’armée et son émigration dans le quartier de Christiania de Copenhague, réputé pour sa misère et sa violence. {Dansker} se concentre ensuite sur la vie de James à Copenhague : sa rencontre avec le trafic de drogue, sa retrouvaille avec la femme qu’il y a rencontrée et le fils Joshua qu’il a eu avec elle, son arrestation injustifiée, la perte de son butin, son apprentissage du danois, l’aide sociale dont il dépend, les bouleversements politiques du Danemark dans les années anté- et post-2000, l’obtention de la nationalité danoise et son interrogation sur son intégration dans le pays où il s’est réfugié. Tout en adoptant le point de vue de son héros et donc de son père, Halfdan Pisket pose la question du statut et du devenir de l’immigré arménien au Danemark.
James Pisket, le héros de Dansker et le père de l’auteur Halfdan Pisket, est un Arménien né dans un village situé à la frontière entre la Turquie et l’Arménie. Avant les années 2000, il est engagé de force dans l’armée turque qui est en guerre avec les Arméniens. Confronté à la mort de ses proches, James déserte l’armée et tue l’officier qui veut l’en empêcher, ce qui lui vaut d’être emprisonné.
Libéré, il décide de se réfugier au Danemark où il fait la connaissance de différentes femmes pour obtenir un permis de séjour. Il rencontre enfin Arla à Aalborg avec qui il a un fils, Joshua. Finalement, le couple se sépare.
James s’installe à Christiania, quartier de Copenhague, où il fait la connaissance de deux joueurs d’échecs qui l’entraînent dans la consommation et la vente de haschich. James devient violent. James se lance alors dans le trafic de drogue et l’argent se met à couler à flot. Il s’installe dans une blanchisserie pour cacher l’argent gagné illégalement et voit régulièrement une assistante sociale.
Alors qu’elle ne voulait plus voir James, Arla revient vers lui pour qu’il la protège de son violent compagnon, Flemming, avec qui elle a eue une fille prénommée Vibe. James décide de tuer Flemming et d’aider financièrement Arla. Avec son fils Joshua, il cache alors une partie de l’argent gagné illégalement dans un terrain vague.
James, après avoir longtemps hésité, s’associe avec des trafiquants arabes nouveaux venus à Christiania, ce qui l’entraîne en prison. Relâché à la condition de ne pas porter plainte contre la police qui l’a arrêté par erreur, James ne peut plus récupérer l’argent qu’il avait caché.
Désormais sans un sou, sollicitant plus que jamais l’aide sociale, James décide d’apprendre le danois avec l’aide de son fils pour obtenir la nationalité. Il assiste pendant ce temps-là aux turbulences politiques du Danemark qui oscille entre la droite libérale et la sociale démocratie. Il repart alors en Turquie où ses proches s’adressent à lui sous forme de fantômes qui lui font comprendre qu’il ne les a pas abandonnés et que sa place n’est plus en Turquie.
James revient finalement à Copenhague et tente en vain d’obtenir la nationalité danoise. C’est lorsque le parti social-démocrate est au pouvoir que James y parvient. Désormais danois dans le pays où les habitants se déclarent les plus heureux du monde, James se demande malgré tout s’il sera toujours vu comme un étranger et se réconforte cependant avec l’image de la famille qu’il s’est construite au Danemark.
Dansker (« Danois »),
http://presquelune.com/index.php/romans-graphiques/292-dansker
faisant suite à Déserteur
http://presquelune.com/index.php/romans-graphiques/292-dansker
et à Cafard,
http://presquelune.com/index.php/romans-graphiques/292-dansker
Dansker est un roman graphique composé de neuf chapitres, proche du roman illustré d’autant plus qu’il y a peu de dialogues et que l’histoire est racontée exclusivement par l’intermédiaire de cartouches à travers le regard et la parole de James Pisket. Le titre trouve écho dans le dernier chapitre intitulé « Danois ».
Deux chapitres ne sont composés que de vignettes : le chapitre trois « Christiania » et le chapitre huit « Les années 2000 ». Ce sont des moments de contemplation et de réflexion du héros qui observe dans le premier le devenir de Christiania, quartier de Copenhague construit sur une ancienne caserne où se retrouvent les âmes en perdition et où la criminalité ne cesse de grandir, et dans le second le devenir politique du Danemark.
L’auteur utilise des symboles et des métaphores dans sa narration à travers un langage simple, voire naïf, dépourvu de jugement, mais finalement d’une grande profondeur et à caractère universel. Il s’agit de narrer le cheminement d’une vie mais aussi d’une identité qui se construit jusqu’aux dernières paroles du héros autour d’un questionnement identitaire : « Je ne sais pas si je serai toujours un étranger dans ce pays ou si, un jour, j’aurai vraiment le droit de devenir danois. »
Le nom du héros, James Pisket – qui n’est pas éponyme du titre du livre - n’est pas sans rappeler celui du héros Snake Plissken de John Carpenter, lui aussi apatride, borgne et utilisé par la société comme criminel et envoyé en mission dans un quartier de non-droit de New-York, comme l’est Christiania pour Copenhague.
La naïveté – sans vue péjorative aucune – de la narration permet de transposer les situations et les émotions sous forme de métaphores récurrentes qui occupent des cases complètes. Cela commence par la couverture qui présente un visage de James qui n’est pas sans rappeler celui de Frankenstein et annonce la tonalité de l’album : BD fantastique ou BD noire ?
http://presquelune.com/index.php/romans-graphiques/292-dansker
James, personnage reconstruit à partir de morceaux,
http://presquelune.com/index.php/romans-graphiques/292-dansker
devient un personnage emblématique du fantastique presque gothique : Frankenstein, le double et l’identité entre le nom de l’auteur et le nom du héros : "Pisket" (continuité de la relation de la vie du père de l’auteur), les lames qui sortent des yeux et de la bouche, le masque qui recouvre les visages de la violence : les soldats turcs et les trafiquants.
http://presquelune.com/index.php/romans-graphiques/292-dansker
Le ressenti du héros face à la violence et à la souffrance est figuré à travers des représentations universelles et mythologiques : le serpent Ouroboros pour figurer le temps asphyxiant,
http://presquelune.com/index.php/romans-graphiques/292-dansker
les dédales du labyrinthe pour figurer l’enfermement spatial et existentiel,
http://presquelune.com/index.php/romans-graphiques/292-dansker
la créature du Minotaure pour figurer le combat face au Mal, la créature de l’ogre ou de Mr Hyde ou du serpent pour figurer Flemming.
Le style graphique de Halfdan Pisket puise toute sa puissance évocatrice dans l’utilisation du noir et blanc, ce qui fait osciller l’univers qu’il représente entre celui du récit fantastique, voire le gore, et celui du roman noir. La volonté du dessinateur de jouer avec la perspective permet cette hésitation et montre que les sources d’inspiration sont multiples.
On peut percevoir la référence à la bande dessinée orientaliste initiée par Marjane Satrapi dans Persepolis à laquelle il ajoute comme elle des aspects humoristiques : Robocop intervient dans un cauchemar de James, les personnages ont parfois l’aspect, de manière épisodique, de chibis de manga, et de laquelle il s’éloigne en cassant la ligne claire à travers les détails des visages et des mains qui se multiplient et sont travaillés de sorte à faire ressortir la tragédie du personnage plongé dans une situation inextricable : celle de l’immigré à la recherche d’un nouveau lieu d’accueil. Les pommettes, les joues, les fronts, les extrémités des métacarpes des mains comportent des traits qui forment des figures labyrinthiques et sont autant d’échos de la situation du héros en Turquie, à Christiania et à Copenhague.
http://presquelune.com/index.php/romans-graphiques/292-dansker
L’univers glauque et parfois gore se rapproche par son graphisme de celui des albums de la série Apocalypse sur Carson City de Guillaume Griffon publiée chez Akiléos. En poussant plus loin la recherche d’éventuelles sources d’inspiration, la narration à la première personne et l’univers de la ville comme lieu du crime et du cauchemar, l’utilisation du noir et du blanc, le dessin d’un héros torturé et déchiré au propre comme au figuré, on peut voir dans Dansker des échos de Sin City et de Dark Knight de Frank Miller.
Cependant l’objectif du trait de Halfdan Pisket n’est pas de privilégier la peur ou le suspense, mais plutôt de se situer du côté de l’empathie envers un personnage déraciné - celui de son père - qui erre parmi la violence du monde et cherche à travers tous les possibles – le mensonge ou le crime puis la construction d’une nouvelle famille et l’instruction - un ancrage légal dans un refuge fixe et stable dont on ne le chassera plus. Il s’agit pour l’auteur de figurer la quête d’une identité après la perte des racines.
160 pages - 23 €
La chronique vous a plu ? Achetez l'œuvre chez nos partenaires !
Galerie Photos
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.