La Grande Guerre en noir et blanc
Le 5 novembre 2003
Situé pendant la Grande Guerre, un roman sur les petites lâchetés et les intenses douleurs. Eprouvant mais magnifique.


- Auteur : Philippe Claudel
- Editeur : Stock
- Genre : Roman & fiction, Littérature blanche
Un roman sur les petites lâchetés du quotidien et les intenses douleurs de la vie qui broie les âmes, quelle qu’en soit la couleur et la teinte, guerre ou pas guerre. Eprouvant mais magnifique.
Les âmes grises se passe pendant la Première Guerre mondiale, à l’est de la France, dans un village situé sur la route du front. Une usine, construite à la fin du XIXe siècle, avec son lot de logements ouvriers dans la tradition de la bienfaisance paternaliste, emploie tous les hommes du village et des environs et leur permet d’échapper à l’appel, l’Etat ayant décrété que l’usine doit fonctionner pendant les combats. La guerre est donc bien là, toute proche, à quelques kilomètres, mais l’on n’en voit que les allers de soldats bien portants et les retours d’estropiés gémissants. Et l’on partagerait presque cette culpabilité des habitants un peu honteux de leur sort, de ne pas aller risquer leur peau dans les tranchées boueuses.
Epargnés par la guerre, ils n’en sont pas moins accablés par la vie et son funeste pendant, à l’image de ce narrateur anonyme qui dévoile peu à peu son secret et, ce faisant, ressert un peu plus l’étau qui étreint sans repos le lecteur depuis le début du roman. Parce que Les âmes grises commence par le récit d’un fait divers, encore plus "divers" puisque c’est la Grande Guerre : une fillette, aimée de tous au village, est retrouvée morte au bord du canal, non loin de la maison d’un procureur grave et triste qui vit seul depuis le décès prématuré de sa femme. Et c’est l’assassinat mystérieux et jamais résolu de cette fillette - Belle de Jour ils l’appelaient tant elle était charmante -, qui, par une succession d’évènements tous plus "divers" les uns que les autres, entraînera d’autres morts aussi injustes que celle de la fillette.
Alors, on se laisse gagner par l’infinie douleur causée par la disparition de quelques personnages, Belle de Jour, le déserteur accusé du meurtre, la douce institutrice, le médecin trop généreux, la femme du narrateur, occultant ainsi lâchement la mort de centaines de milliers d’hommes dans un sordide anonymat, non loin de là.
Suggérant plus qu’il ne montre ou ne juge, comme pour cultiver l’ambivalence (rien n’est tout noir ou tout blanc, mais bien plutôt gris), Philippe Claudel nous livre un roman remarquable, à l’image de son sujet et de son narrateur : sobre et poignant, discret et sincèrement bouleversant.
Philippe Claudel, Les âmes grises, Stock, 2003, 284 pages, 18,80 €
– Regards croisés : Sur le thème de la Grande Guerre, lire aussi nos critiques de Dans la guerre d’Alice Ferney et du Monument de Claude Duneton
Voir aussi notre critique du film d’Yves Angelo
Stéphanie Alves 28 juillet 2005
Les âmes grises - Philippe Claudel
Magnifique livre. Les âmes grises ce sont celles de cette bourgeoisie de province de la première guerre mondiale dans un petit village.
Les âmes grises ce sont toutes ces mesquineries, lâchetés, ranqueurs, jalousie, souffrance etc. qui jalonnent le parcours humains. Les âmes grises, Claudel les disèquent, avec subtilité et talent.
les âmes grises, nous en croisons tous les jours...