Le 17 février 2017
- Dessinateur : Kazuo Kamimura
- Editeur : KANA
Le festival de la bande dessinée d’Angoulême et la politique éditoriale de Kana nous invitent à redécouvrir l’œuvre d’un maître du manga.
L’œuvre de Kazuo Kamimura (1940-1986) fait l’objet d’une politique patrimoniale de réédition, qui a été mise à l’honneur lors du dernier festival d’Angoulême.
Est-ce une preuve du vieillissement du lectorat, de l’arrivée à maturité d’un marché, d’une meilleure connaissance de la richesse du manga par les éditeurs et des critiques ? Les éditeurs ont compris qu’il est pertinent de regarder dans le rétroviseur, et il est réjouissant de voir que Kazuo Kamimura, maître du manga mort en 1986, fait l’objet d’une politique volontaire de réédition, menée par Kana, sous son label « Sensei ». Cette réédition n’est pas passée inaperçue, puisque le Club des divorcés a obtenu le Prix du Patrimoine lors du festival d’Angoulême. Une récompense bienvenue qui, nous l’espérons, permettra de mettre en valeur l’œuvre de Kazuo Kamimura, tant celle-ci mérite d’être connue.
- {Affiche de l’exposition Kamimura, présentée lors du festival de la bande dessinée d’Angoulême, et visible jusqu’au mois de mars au musée d’Angoulême}
- {Affiche de l’exposition Kamimura, présentée lors du festival de la bande dessinée d’Angoulême, et visible jusqu’au mois de mars au musée d’Angoulême}
Il faut dire que la réédition du travail de Kamimura coïncide cette année avec l’exposition consacrée à cet auteur au musée d’Angoulême, sous le titre « Kazuo Kamimura, l’estampiste du manga ». qui présente 150 dessins originaux (planches et illustrations). L’occasion pour le visiteur de découvrir une publication dense, sublimée par une puissance graphique indéniable. Le mangaka a accordé une place particulière aux femmes dans son œuvre, évoquant à travers elles des sujets de société majeurs dans le Japon de l’après-guerre (la prostitution, le divorce, la reconstruction du Japon, etc).
Diplômé des Beaux-Arts à 23 ans, Kamimura rejoint une agence de publicité avant de se tourner vers le dessin, où il officie d’abord comme assistant du maître Osamu Tezuka. Son œuvre se caractérise par une production frénétique, qui coïncide avec l’essor du gekiga (« dessin dramatique », les mangas qui évoquent des sujets graves, s’adressant aux adultes) au Japon, dont témoigne le succès du magazine Garo. Il s’associe parfois avec des scénaristes chevronnés, comme Kazuo Koike (Lone Wolf and Cub) ou Ikki Kajiwara (Ashita No Jo), ou réalise lui-même ses scénarios.
- {© Illustration originale Kazuo Kamimura Double page issue du Club des Divorcés, Kana, 2015-2016}
- {© Illustration originale Kazuo Kamimura Double page issue du Club des Divorcés, Kana, 2015-2016}
- Exposition Kamimura au Musée d’Angoulême - Photo : F. Michel
- Exposition Kamimura au Musée d’Angoulême - Photo : F. Michel
L’œuvre de Kamimura est dense, puisqu’elle s’étale sur une période assez brève : moins de 20 ans séparent son premier manga, Kawaiko Sayuri-chan no daraku (1967, non traduit), de Ichiyō ura nisshi (1984-1985, non traduite), avant que Kamimura ne soit emporté par un cancer à 45 ans. Sa disparition précoce n’a pas empêché Kamimura de marquer son époque, en brisant les tabous de son temps : Dōsei jidai (Lorsque nous vivions ensemble, Kana, 2009), publiée dans Action Comics entre 1972-1973, traite de la vie quotidienne d’un couple non-marié dans un Japon encore profondément conservateur sur cette question. Ce titre lance la carrière du mangaka, qui poursuit dans la même voie iconoclaste en évoquant la vie d’une jeune femme divorcée dans Rikon club (Le Club des Divorcés, Kana, 2015-2016), avec un réalisme bouleversant. Son œuvre témoigne d’un regard avisé sur le Japon d’après-guerre, marqué par la nécessaire reconstruction et une tension entre conservatisme et désir de liberté.
Deux thèmes jalonnent l’œuvre de Kamimura. La vengeance, d’abord, avec deux titres importants. Shurayuki-hime (Lady Snowblood, Kana, 2007-2008), sur un scénario de Koike, traite de la vengeance d’une femme élevée par un maître du sabre sous Meiji, et a fortement influencé le Kill Bill de Tarantino, quand Shōwa ichidai onna (Une femme de Showa, Kana, 2017) évoque le dénuement et le désir de vengeance d’une jeune femme dans le Japon de l’immédiat après-guerre. La passion amoureuse, ensuite, avec Kyōjin Kankei (Folles Passions, Kana, 2010), qui narre la passion d’un peintre à l’époque Edo.
- Exposition Kamimura au Musée d’Angoulême - Photo : F. Michel
- Exposition Kamimura au Musée d’Angoulême - Photo : F. Michel
Kamimura est l’exemple criant de la richesse de l’univers du manga, bien souvent limité dans l’imaginaire collectif à des titres destinés aux adolescents, et de la capacité d’associer une production prolifique et d’une incontestable qualité graphique, comme en témoignent l’exposition angoumoisine ainsi que les superbes doubles pages du Club des divorcés. Observateur avisé des moeurs de son époque, Kamimura parvient à traiter de sujets graves avec une certaine poésie, et donne une véritable force à ses héroïnes, à des lieues du machisme de la plupart de ses contemporains. Les productions sont à placer à côté de celles d’autres maîtres du gekiga comme Tatsumi, Hirata, Tsuge ou Mizuki, dont les mangas, eux aussi, mériteraient bien une rétrospective.
À voir jusqu’au 12 mars 2017, au Musée d’Angoulême.
Square Girard II, 16000 Angoulême.
Galerie Photos
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