Wat Dryhope a fait l’histoire, puis l’a écrite. Il l’a faite lors du combat opposant son clan d’Ettrick aux Northumbriens, au 23e siècle, en profitant d’une faille dans les Conventions de Genève pour décrocher un match nul inespéré. Il l’a écrite avec ses mémoires, "un antidote à la dangereuse habitude laxiste consistant à croire que le monde moderne est enfin un lieu sûr, et que le passé est un tas d’ordures trop immonde pour y tremper nos esprits", comme l’écrit sa mère dans le prologue. Où elle souligne également "l’intelligence" du livre de son fils. Une annonce pleine de forfanterie et d’humour digne d’Alasdair Gray, dont on est très heureux de découvrir un nouvel ouvrage, trois ans après la traduction tardive de son chef-d’œuvre, Lanark. Mélange de science-fiction, d’anticipation, de férocité, de fantaisie, d’ironie, Le faiseur d’histoire est de la même veine. Celle de l’école de Glasgow, celle qui raconte la chute des grandes cités occidentales bouffées par la marchandisation galopante.

Au 23e siècle selon Gray, les hommes vivent sur le champ de bataille. Les femmes, elles, font tourner le monde, élevant les enfants collectivement et tirant tout ce dont elles ont besoin des vitaplantes, qu’elles nourrissent avec les corps des soldats tombés lors des combats suivis de près par l’Œil public, la chaîne planétaire. Un monde bien huilé, une nouvelle ère qui a commencé avec l’apparition de la télévision, seule distraction désormais avec le sexe, grand pourvoyeur des armées. Un monde dont Wat Dryhope est le héros malheureux, lui qui rêve de partir avec la femme qu’il aime dans des terres reculées pour reconstruire le passé. Histoire de retrouver ce temps où les traces de l’homme n’étaient pas visibles partout et où le cynisme des puissants n’avait pas encore triomphé. Totalement du moins.