Les amants maudits
Le 29 mars 2024
Première adaptation du roman Le Facteur sonne toujours deux fois, cette œuvre très noire reste encore méconnue, de même que son réalisateur, le talentueux Pierre Chenal.


- Réalisateur : Pierre Chenal
- Acteurs : Michel Simon, Charles Blavette, Robert Le Vigan, René Bergeron, Pierre Labry, Étienne Decroux, Auguste Boverio, Marcel Duhamel, Georges Péclet, Georges Paulais, Fernand Gravey, Fred Pasquali, Georges Douking, Jean-François Martial, Corinne Luchaire, Marcel Vallée, Florence Marly
- Genre : Drame, Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Noir et blanc
- Nationalité : Français
- Distributeur : Lux Compagnie Cinématographique de France
- Durée : 1h30mn
- Date de sortie : 17 mai 1939
- Plus d'informations : Histoire du Polar au cinéma

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Résumé : Frank, un vagabond, arrive au hasard de ses errances dans une station-service isolée. Il sympathise avec le patron, Nick, marié à Cora, une femme pulpeuse, beaucoup plus jeune que lui. Frank et Cora sont irrésistiblement attirés l’un par l’autre et bientôt unis par une passion physique dévorante. Ils décident d’assassiner Nick. Après une première tentative ratée, ils réussissent à maquiller leur forfait en accident. La police ne retient aucune preuve contre eux...
Critique : Première adaptation du roman de James Cain, qui sera également porté à l’écran par Luchino Visconti, Tay Garnett, Bob Rafelson et György Fehér, Le dernier tournant a été, et reste encore, un film maudit. Sorti quelques mois avant l’entrée en guerre de la France, le film fut boudé par le public qui rejeta sa noirceur, d’autant plus que le personnage maléfique de Frank était tenu à contre-emploi par Fernand Gravey, vedette de comédie. Les autorités de Vichy et l’Occupant interdiront par la suite la diffusion de l’œuvre au prétexte que son réalisateur, Pierre Chenal, était juif et parti en exil. À la Libération, le film fut toujours sur une liste noire mais au motif que deux de ses interprètes principaux, Corinne Luchaire et Robert Le Vigan, avaient été des collaborateurs notoires ! Rarement diffusé dans les salles et à la télévision pendant des décennies, Le dernier tournant a été redécouvert dans les années 80, au même titre que Pierre Chenal, qui rencontra rarement le succès au cours de sa malchanceuse carrière. Mais on attend toujours une édition DVD de son œuvre. Le scénario et l’atmosphère du présent film sont marqués par ce pessimisme ambiant dans le cinéma français de la fin des années 30, qui avait culminé avec Le quai des brumes et Le jour se lève, de Carné et Prévert.
Le film de Chenal s’en distingue toutefois par un refus des métaphores poétiques et la volonté de présenter une histoire épurée, avec des dialogues secs bannissant les mots fleuris et les allégories. On ne trouvera guère plus de trace de digression divertissante : même les truculentes apparitions d’un juge perspicace (Marcel Vallée) sont là pour ancrer le film dans la dimension purement policière d’une intrigue où tout le monde doit se méfier d’autrui. Dans cet univers cynique et malsain, personne n’est ainsi digne de confiance : le cousin venu sur les lieux du drame est forcément un maître-chanteur ignoble (génial Le Vigan), et lorsqu’on veut quitter une femme fatale, c’est pour rencontrer sur sa route une jolie fille qui ne va vous attirer que des ennuis (Florence Marly, épouse du cinéaste). Bien servi par la photo de Christian Matras et les décors de Georges Wakhévitch, Le dernier tournant multiplie les séquences nocturnes qui accentuent ses qualités plastiques, tout en anticipant l’esthétique du film noir des studios hollywoodiens. Si Michel Simon en mari trompé est comme à son habitude prodigieux, le film doit également beaucoup à Corinne Luchaire, au jeu extrêmement moderne, qui montre avec subtilité les nuances de son personnage.