« T’as d’beaux yeux tu sais »
Le 14 mai 2020
Sommet du réalisme poétique d’avant-guerre, ce film mythique est l’un des meilleurs du cinéma français d’avant-guerre.
- Réalisateur : Marcel Carné
- Acteurs : Pierre Brasseur, Michel Simon, Michèle Morgan, Jean Gabin, Marcel Pérès, Édouard Delmont, Roger Legris, René Génin, Robert Le Vigan, Raymond Aimos
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Français
- Distributeur : Carlotta Films, Films Osso
- Editeur vidéo : Studiocanal
- Durée : 1h31mn
- Date télé : 6 octobre 2023 22:19
- Chaîne : Ciné+ Classic
- Reprise: 31 octobre 2012
- Date de sortie : 17 mai 1938
- Festival : Festival de Venise 1938
Résumé : Par une nuit ténébreuse, un déserteur du nom de Jean arrive au Havre dans l’espoir de quitter la France. En attendant un bateau, il trouve refuge au bout des quais, dans une baraque autour de laquelle gravitent plusieurs marginaux. Il y fait la rencontre de Nelly, une belle et mystérieuse jeune femme dont le regard le bouleverse. Cette dernière vit dans la terreur de son tuteur, le misérable Zabel, lui-même racketté par une bande de voyous. Par amour, Jean se mêle des affaires de Nelly et met les pieds dans un engrenage périlleux…
Critique : Légende du cinéma français, Le quai des brumes est l’un des films les plus célèbres du tandem Carné-Prévert. Le public fit un triomphe à ce récit désenchanté construit autour de la personnalité de Jean Gabin, qui forme ici un couple mythique avec une Michèle Morgan qui obtint ses galons de star. La critique internationale reconnut un grand classique du fameux réalisme politique français, rebaptisé plus tard « fantastique social ». Les multiples rediffusions en prime time sur les chaînes de télévision feront découvrir à d’autres générations cette perle des années 30 et garantiront sa pérennité dans la mémoire collective... Et pourtant, Le quai des brumes fut (et reste encore) la cible de bien des attaques. La censure vit d’un mauvais œil cette histoire de déserteur et imposa des coupures, quand des moralistes et politiciens lui reprocheront d’avoir contribué, pas moins, à la débâcle de 1940. Certains cinéphiles verront en Carné un simple artisan habile, n’assurant qu’un « découpage technique », dans l’ombre du romantisme noir de Prévert, seul auteur de l’œuvre à leurs yeux. D’autres seront plus indulgents avec le cinéaste, mais pour mieux enfoncer un scénario jugé trop allégorique et artificiel. Le coup de grâce fut donné par François Truffaut, détracteur de la « Qualité française » et d’un cinéma de scénariste, et dont le dogme trouve encore écho dans l’accueil de la présente restauration : d’aucuns post-truffaldiens décèlent ainsi un film réactionnaire, voire implicitement antisémite et homophobe, et de surcroît réduit à la somme de talents artisanaux isolés, sans véritable vision d’auteur... On le voit bien : il y a des préjugés et des chapelles qui ont la vie longue.
Près de soixante-quinze ans après sa sortie, Le quai des brumes frappe en effet par son audacieux mélange de classicisme et de modernité. Profondément influencé par Lang, Murnau, Sternberg et Hawks, Carné s’avère un maître de l’atmosphère : La composition très élaborée de la photo de Eugen Schüfftan, aux clairs-obscurs suggestifs, les décors expressionnistes d´Alexandre Trauner et la musique aux accents tragiques de Maurice Jaubert s’inscrivent dans un dispositif cohérent qui mêle références théâtrales et véritable perspective de cinéaste. Carné est un expert dans l’art du picturalisme, créant un effet de distanciation en déréalisant avec finesse l’existence de personnages pris dans l’engrenage de la fatalité. Héritier du Kammerspiel allemand des années 20, le cinéaste respecte la règle des trois unités et enferme Jean, Nelly et les autres dans un cadre étouffant aux allures de cage : Le Havre, avec ses ruelles malfamées, ses commerces sordides et ses quais aveuglants, s’avère bien l’espace scénique central qui étouffera la jeune orpheline, attirera le déserteur, et sera fatal aux amants désunis. Et loin de briser la tension dramatique, les « bons mots » de Jacques Prévert lui confèrent une ironie tragique harmonieuse : plus que le célèbre « t’as d’beaux yeux tu sais », on retiendra l’autodérision pathétique de Michel Simon, déclarant qu’ « il vaut mieux avoir une sale gueule que de ne pas en avoir du tout ». Tous les interprètes seraient d’ailleurs à citer, de Pierre Brasseur en crapule veule à Robert Le Vigan en peintre illuminé, en passant par Edouard Delmont en tenancier convivial, Raymond Aimos en docker ivrogne ou René Génin en médecin équivoque. Et ce n’est pas être nostalgique que de regretter une époque où une attention était accordée à tous les personnages et comédiens jusqu’au moindre petit rôle... Grâce au soutien de StudioCanal et du Fonds Culturel Franco-Américain, Le quai des brumes est aujourd’hui présenté dans une magnifique copie fidèle à la version souhaitée par les auteurs et donnant une nouvelle jeunesse à l’image et au son.
– Prix Louis Delluc 1938
– Festival de Venise 1938 : Meilleur réalisateur
– National Board of Review, USA 1939 : Meilleur film étranger - Top Foreign Films
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Claude Rieffel 1er février 2015
Le quai des brumes - Marcel Carné - critique
Parfait cas d’école de mise en oeuvre scrupuleuse de recettes pour aboutir à un parfait produit fini estampillé "chef-d’oeuvre" au stade de la conception même. Tout le monde fait la démonstration brillante de son savoir faire mais rien ne respire, tout sonne faux, fabriqué, caricatural, du début à la fin. Heureusement qu’en 1938 il y avait aussi Grémillon, Renoir, Ophuls ...