Le 2 janvier 2020
Plus que le poignant témoignage sur un traumatisme, Le consentement est le livre par lequel Matzneff est enfin saisi. Les mots de Vanessa Springora, ajustés au réel, sont une réponse stylistique à celui qui se prend pour la littérature et lui donne tous les droits.
- Auteur : Vanessa Springora
- Editeur : Grasset
- Genre : Autobiographie
- Nationalité : Française
- Date de sortie : 2 janvier 2020
- Festival : Rentrée littéraire 2020
Résumé : Au milieu des années 80, élevée par une mère divorcée, V. comble par la lecture le vide laissé par un père aux abonnés absents. À treize ans, dans un dîner, elle rencontre G., un écrivain dont elle ignore la réputation sulfureuse. Dès le premier regard, elle est happée par le charisme de cet homme de cinquante ans aux faux airs de bonze, par ses œillades énamourées et l’attention qu’il lui porte. Plus tard, elle reçoit une lettre où il lui déclare son besoin « impérieux » de la revoir. Omniprésent, passionné, G. parvient à la rassurer : il l’aime et ne lui fera aucun mal. Alors qu’elle vient d’avoir quatorze ans, V. s’offre à lui corps et âme. Les menaces de la brigade des mineurs renforcent cette idylle dangereusement romanesque. Mais la désillusion est terrible quand V. comprend que G. collectionne depuis toujours les amours avec des adolescentes, et pratique le tourisme sexuel dans des pays où les mineurs sont vulnérables. Derrière les apparences flatteuses de l’homme de lettres, se cache un prédateur, couvert par une partie du milieu littéraire. V. tente de s’arracher à l’emprise qu’il exerce sur elle, tandis qu’il s’apprête à raconter leur histoire dans un roman. Après leur rupture, le calvaire continue, car l’écrivain ne cesse de réactiver la souffrance de V. à coup de publications et de harcèlement. « Depuis tant d’années, mes rêves sont peuplés de meurtres et de vengeance. Jusqu’au jour où la solution se présente enfin, là, sous mes yeux, comme une évidence : prendre le chasseur à son propre piège, l’enfermer dans un livre », écrit-elle en préambule de ce récit libérateur.
Notre avis : Au-delà de la légitime émotion qu’il suscite, le livre de Vanessa Springora a toutes les caractéristiques d’une évidence, disséminées dans une chronologie implacable, où une succession de logiques déterministes creuse le sillon d’une tragédie individuelle. L’enfant vit d’abord les disputes incessantes et violentes de ses parents. La figure paternelle exhibe l’affreux masque du "tyran domestique", qui se confond avec d’autres, légitimés par des siècles de patriarcat. Les premiers traumatismes distillent le poison de la soumission dans le quotidien que documente implacablement l’auteur et qui réfère aux injonctions de la domination masculine : être d’abord, dès ses six ans, "une petite fille studieuse, obéissante et sage" pour que, dans l’ordre du désir, ces qualités soient translatées à d’autres fins, profilant une vie qui en dit des milliers et suivra son chemin jusqu’à l’"ogre" G.M. ; ne pas déranger la bibliothèque d’un père, dont les vociférations ne seront que les premiers échos des colères tonitruantes du célèbre graphomane que sa proie contrarie ; recevoir, pour ses huit ans, le parangon du stéréotype fait jouet, le camping-car de Barbie, à qui il faudra nécessairement un Ken pour la rassurer ; être socialement, économiquement fragilisée par l’absence d’une pension versée, puisque le géniteur de la narratrice, comme tant d’autres hommes , s’y est soustrait ; entendre les râles extatiques du nouvel amant de sa mère, qui commande à sa partenaire de "se retourner" ; être visuellement agressée, dans l’adolescence, par le "sexe boursouflé" d’un exhibitionniste, "tendue à travers la glissière d’une fermeture Éclair"... comme le dit laconiquement le récit, "toutes les conditions sont maintenant réunies".
Dans cette configuration, l’irruption du célèbre auteur est le prolongement monstrueux d’un habitus ancestral : celui-ci ordonne que des êtres de sexe féminin soient socialement construits pour être violentés, dominés, asservis. Et comme si cela ne suffisait pas, il faudra que les filles demeurent désirables. Malheureuse de ne pas l’être, la narratrice se flagelle : "Je suis ingrate. Sans le moindre attrait", laissant à son futur amant le soin de la démentir, dès leurs premiers échanges, pour marquer son emprise, grâce à la complicité du monde littéraire, la cécité d’une mère, l’incurie des institutions, l’inconséquence du monde médical, comme si la Terre entière communiait dans un accord tacite, pour que la vie d’une gamine de quatorze ans ne quitte jamais les pages sur lesquelles le diariste quinquagénaire l’épinglera, parmi de nombreux papillons aux ailes flétries. Juste retour des choses : Le consentement est le livre par lequel Matzneff est enfin saisi, enfermé dans cette littérature dont il croit être un brillant orfèvre, en pratiquant la magie de l’art qui, selon lui, disculpe le magicien, le rend si respectable qu’une jeune fille éplorée subit les remontrances d’un célèbre philosophe nihiliste : "C’est un immense honneur qu’il vous a fait en vous choisissant". Le bras droit d’un gourou sectaire ne dirait pas autrement.
Réduite à une fiction, la narratrice trouve le remède dans les textes, découvre jusqu’à la nausée les lignes que consacre l’écrivain à ses désirs pédophiles, sous des cieux parisiens, vers des pays plus lointains et plus pauvres, où un autre effet de la domination, celle de l’homme blanc, se cristallise à travers une jouissance effrénée de la prostitution enfantine.
Pas à pas, la jeune Vanessa s’extirpe de la présence tutélaire, tandis que le séducteur éconduit déploie son énergie aux fins de la reconquérir, ne renonce pas, des années plus tard, à se rappeler tel un cauchermar lancinant. Par-delà sa dimension cathartique, Le consentement puise de la matière même du langage sa conviction dans le pouvoir des mots, leur capacité à nommer le réel sans afféteries, comme une réponse à la préciosité stylistique de Matzneff. Bien plus qu’un témoignage accablant, Springora a façonné un texte littéraire dont la publication est sans nul doute un événement.
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catdef 2 janvier 2020
Le consentement - la critique du livre
Je viens de finir ce livre , dont j’attendais la sortie . Je suis si triste de cette vie bousillée , qui fait écho aux abus dont j’ai été victime et qui m’ont moi aussi bousillée . Comme il faut du temps et de l’energie pour se sortir de là , pour vivre quand meme ! Je ne peux qu’avoir de la tendresse pour V. cette soeur d’infortune et pas de mot pour decrire mon horreur de GM
fest 3 janvier 2020
Le consentement - la critique du livre
Tout au long delà lecture c’est juste un témoignage glaçant qui apporte beaucoup de nuances a la notion de consentement. C’est un beau livre ferme et élégant tranchant et poignant que je recommande vivementhttps://amzn.to/2ZPfk7c
Des plumes et des livres 15 mai 2021
Le consentement - la critique du livre
Il faut être bien armé psychologiquement pour débuter la lecture de Le Consentement de Vanessa Springora.
Le Consentement est un témoignant poignant et marquant sur la relation d’emprise que l’autrice a subi dans son adolescence avec un prédateur sexuel de près de 40 ans son aîné. Aucun nom n’apparaît dans ce récit, juste des initiales pour désigner les personnes.
Vanessa Springora détaille minutieusement comment l’emprise de cet écrivain s’est installée en elle, d’une relation épistolaire à leur relation. Sans entrer dans le jugement, le pathos, elle décrit de manière factuelle son histoire, de ses débuts passionnels à la descente aux enfers, de l’illusion du prince charmant à la réalité toxique et empoisonnante.
On ressent parfaitement la difficulté à se défaire de cette emprise, de cette relation toxique. Il faudra du temps à l’autrice pour se sortir de cette relation, entre la peur et l’abandon. Pourtant peu à peu, l’influence de ce pervers se dissipe, malgré ses tentatives d’harcèlement et d’intimidation.
Le Consentement est un récit fort, prenant, poignant qui est renforcé par la lecture de Guilia Clara Kessous. Elle relate l’histoire de Vanessa Springora d’une voix posée, laissant glisser les mots jusqu’à nos oreilles. Et pourtant malgré cette douceur apparente, les phrases claquent, interpellent à l’instar de la plume de l’autrice. J’ai suivi ce récit avec la boule au ventre, aux côtés de la petite V., jusqu’à sa sortie de cette emprise des plus toxiques.
https://desplumesetdeslivres.wordpress.com/2021/05/08/selection-prix-audiolib-2021-le-consentement-vanessa-springora/
Kirzy 29 mai 2021
Le consentement - la critique du livre
Lumineuse Vanessa Springbora. Avant de me plonger dans cet ouvrage absolument incontournable, j’ai été impressionnée par sa présence digne et bienveillante de femme qui finit de se libérer de l’emprise de son prédateur en l’enfermant dans un livre pour toujours et en se réappropriant son histoire. Une catharsis, la revanche des victimes.
Ce récit n’aurait pu être qu’un simple témoignage. C’est avant tout une oeuvre littéraire à part entière. On sent à quel point ce récit est le fruit de trente ans de travail sur soi, trente ans de combat et d’introspection. La construction est parfaite, avec un gros travail d’élaboration narrative en six chapitres aux titres forts afin de décortiquer le processus d’emprise qu’a exercé sur elle l’écrivain pédophile Gabriel Matzneff : « L’enfant » qui présente les "conditions nécessaires" au drame ; « La proie » sur la rencontre avec G.M et les débuts de leur relation ; « L’emprise » sur la prédation psychique ; « La déprise » sur la rupture et le vertige et la folie qui s’ensuivent ; « L’empreinte » sur le vivre après, la dépression, les psychotropes pour s’en sortir ; et enfin « Écrire » sur la résilience aboutie.
Le titre est parfaitement choisi dans sa sobriété directe : « acte libre de la pensée par lequel on s’engage entièrement à accepter ou à accomplir quelque chose ». Que vaut le consentement d’une adolescente de quatorze ans en manque de père, élevée par une mère paumée ? D’une jeune fille en manque d’amour qui cherche désespérément à accrocher le regard des hommes pour remplacer celui du père ? Qui est envahie par les pulsions sexuelles et la confusion de sentiments typiques de la complexité adolescente ? Vanessa Springora décrit avec beaucoup de finesse, sans manichéisme, la psyché complexe de la jeune fille qu’elle a été : sans nier qu’elle a été amoureuse de G.Matzneff, qu’elle a été flattée par son attention, qu’elle l’a désiré. D’où ce terrible sentiment, une fois la rupture consommée, de culpabilité et de complicité aux crimes du bourreau, qui l’a privée pendant longtemps d’investir le statut de victime.
Le consentement, c’est aussi « l’autorisation de mariage donnée par les parents ou le tuteur d’un mineur ». Comment la société a-t-elle pu à ce point consentir à cette relation de prédation pédophile interdite par le code pénal français depuis 1810 ? La mère, d’abord, qui consent, fascinée par l’aura de l’écrivain et prononce ces paroles terribles lorsque sa fille lui annonce qu’elle quitte G.M. : « le pauvre, il t’adore ». le père qui laisse faire. Les professeurs qui ferment les yeux devant ce quinquagénaire venant chercher une collégienne. Les médecins. Les médias. Les policiers. L’intelligentsia parisienne ( sidérant passage chez le philosophe Emil Cioran ami de G.M. ). le fourvoiement et les dérives d’une partie de la société française est absolument terrible.
Vanessa Springora est bien une écrivaine. Chacun de ses mots est pesé avec loyauté et dignité. le style est factuel, car les faits parlent d’eux-mêmes. Pas besoin d’en faire des tonnes dans la crudité du propos, le lecteur est déchiré par ce qu’il lit, révulsé, ému, révolté, car les phrases disent avec intelligence la capacité de l’auteure à prendre de la hauteur pour raconter son passé avec distance sans tomber dans le piège de la moralisation. C’est d’ailleurs très troublant de ne pas lire un cri de rage emphatique ( qui aurait été tout aussi légitime ) , de ne pas entendre parler de viol. V. n’a pas été violée, elle a été abusée après avoir donné un consentement non éclairé. C’est là une des grandes forces de ce récit subtil et puissant qui en fait un texte résolument à part.
Ce livre est un phare. Pour les adultes qu’ils éclairent sur la fragilité de l’adolescent et sur la nécessité de parler à ces enfants. Pour les jeunes. Je ferai lire le Consentement à ma fille lorsqu’elle en aura l’âge, comme une boussole sur la vulnérabilité et l’ambivalence de l’adolescence. Ce n’est pas un hasard si Vanessa Springora démarre son récit par une référence aux contes pour enfant, sources de sagesse initiatique et d’avertissement aux dangers futurs de la vie.
Merci, Madame Springora.