Le 21 janvier 2018
Un film atypique chez Lubitsch, qui passe d’une verve revigorante à un charme délicat et mélancolique.
- Réalisateur : Ernst Lubitsch
- Acteurs : Gene Tierney, Don Ameche, Charles Coburn, Eugene Pallette, Laird Cregar
- Genre : Comédie
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Splendor Films
- Durée : 1h52mn
- Date télé : 28 novembre 2022 20:50
- Chaîne : Arte
- Reprise: 31 janvier 2018
- Box-office : 1.107.968 entrées France / 309.462 entrées P.P.
- Titre original : Heaven Can Wait
- Date de sortie : 26 août 1946
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– Année de production : 1943
Résumé : Henry Van Cleve, un riche Américain d’une soixantaine d’années, vient de mourir. Arrivé au purgatoire, il doit expliquer et justifier sa turbulente existence au gardien de l’enfer. En effet, malgré un mariage heureux avec la charmante Martha, Henry n’a jamais pu résister à aucune jolie femme...
Critique : Le ciel peut attendre s’ouvre et se clôt dans l’antichambre des enfers ; entre les deux, en un long flash-back ininterrompu, Henry raconte sa vie résumée par des anniversaires successifs. L’objet du récit est de savoir s’il est « apte » ou pas, et donc d’émettre ou faire émettre au spectateur (la fameuse leçon de vie du cinéma hollywoodien) un jugement moral. Prenons-le au sérieux : Henry est-il un personnage moral ?
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À l’entendre, dans une narration pleine d’ellipses, quelques indices dont une facture de bracelet laissent supposer qu’il a été infidèle ; mais à l’écran, sa seule conquête est Martha, la femme de sa vie, celle qu’il enlève deux fois, qu’il épouse le jour de son anniversaire (artifice scénaristique commode pour tenir le parti pris) et à laquelle une tendresse indicible l’unit. Et quand on sait qu’elle est interprétée par la sublime Gene Tierney, on comprend cette fascination… Ses autres prétentions amoureuses sont ridicules, comme sa cour désuète à une danseuse qui le renvoie cruellement à son âge ou une lectrice de vint-quatre ans à laquelle il renonce vite. Quant à la dernière femme, la blonde infirmière, elle devient l’ange de la mort annoncée par un rêve prémonitoire. Du point de vue moral, pas de quoi fouetter un chat.
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Mais ce film opulent, presque trop luxueux, l’un des rares Lubitsch en couleurs et donc à part dans sa filmographie, est sous-tendu par autre chose qu’une réflexion morale primaire : en cherchant à se condamner, Henry en vient à réfléchir sur le sens d’une vie, ni très originale ni très banale ; et l’on se prend à penser que, dans cette avant-dernière œuvre, le cinéaste se laisse contaminer par une douce nostalgie qui envahit le métrage pour déboucher sur un final très apaisé. Autrement dit, même si on évitera le terme de testament, Le ciel peut attendre ressemble toutefois à un bilan cinématographique et humain particulièrement émouvant.
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Car si le tout début nous surprend, avec cette marche solennelle dans une pièce imposante, dès que les personnages parlent, on est rassurés : exquise courtoisie, piques délicieuses (cette pauvre Mme Cooper-Cooper, à jamais empêchée de chanter dans la diégèse, et qui prend une revanche posthume… On aurait aimé savoir à quoi ressemble son organe à un âge qu’on suppose très avancé puisqu’elle chantait aux vingt-six ans d’Henry…), on est bien dans l’univers raffiné qu’on connaît. Toute la première partie du récit mêle habilement bon mots et verve, satire et envolées. Le trait y est parfois cruel : on n’oublie pas le « cousin Albert », aussi parfait qu’irrésistiblement ennuyeux, ou les parents de Martha et leur sottise glacée. Même plus tendre, il n’épargne pas les parents de Henry dont l’amour aveugle n’exclut pas la bêtise. Seul dans ce monde assez fade, le truculent grand-père est aussi le plus lucide : Charles Coburn incarne à merveille un rôle qu’il connaît par cœur et dont il semble se réjouir à chaque réplique ; il faut dire que Lubitsch le gâte : il n’est que de citer la manière dont il dit « je t’aime » à chacun, et les sens différents que la phrase peut prendre selon l’intonation et le contexte. Des trouvailles verbales, ce début n’en manque évidemment pas et la maxime « je compris que pour séduire les filles, il fallait pas mal de scarabées » prend toute sa valeur dans la suite, emplie de cadeaux et de « compensations ». De même retrouve-t-on ce sens du rythme qu’on aime tellement chez Lubitsch ; voir la belle séquence de séduction qui commence par le mensonge de Martha à sa mère ; il suffit que Henry l’entende pour qu’il tombe amoureux et que, par contagion, il mente à son tour en se faisant passer pour un libraire. Car chez le maître, la réalité est terne, elle appartient au côté ennuyeux, le « côté Albert » ; on pourrait aller jusqu’à parler d’un côté mortifère. La description en est terrible : entre le cousin qui finira sa vie seul et ne comprend rien, et l’enfer quotidien des parents de Martha, le cinéaste fustige ces pauvres sires qui se prennent au sérieux. Seuls la fantaisie et le mensonge, du moins dans cette partie, sont du côté de la vie : Henry, Martha, le grand-père comprennent que c’est le mouvement qui rend vivant, loin des momifications redoutables qui les encerclent.
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La seconde partie, qui commence avec la danseuse cruelle, est moins habituelle chez Lubitsch ; elle insiste sur le vieillissement, la nostalgie, la disparition au gré de séquences déchirantes, de la dernière danse au livre attaché à la rencontre. Le réalisateur les traite en finesse, sans masque mais sans excès. Difficile alors de ne pas être bouleversé par des trouvailles ingénieuses mais moins visibles qui structurent une sorte d’endormissement du récit, un apaisement qui conduit en douceur vers la mort. Là, un sentimentalisme certain empâte quelque peu le film, mais la leçon est importante et prend son sens dans l’épilogue : au fond, si Henry est sauvé en dépit de ses supposés écarts de conduite, c’est bien parce qu’il a rendu Martha heureuse ; elle peut donc intercéder en sa faveur. On a connu plus féministe…
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Moins constamment brillant que The Shop Around the Corner, Ninotchka ou To Be or Not To Be, Le ciel peut attendre conserve néanmoins une touche unique, une grâce et un charme indéniables. Il bénéficie également d’une interprétation hors pair, du moindre second rôle au couple vedette, et de quelques-uns de ces raccourcis caractéristiques de Lubitsch (Ah ! Les soixante-dix ans symbolisés par une armoire à pharmacie…). Mais ce qui le singularise, c’est ce ralentissement progressif, du rythme comme de la vie des personnages, et qui, subrepticement, transforme l’enjouement du début en méditation somme toute assez sombre. On pourra regretter les comédies plus toniques, mais dans cette œuvre mûre, raffinée, le cinéaste reste un prince des élégances, capable de tout dire en quelques images. Il est urgent de s’y replonger.
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