Le 18 juillet 2020
L’un des chefs-d’œuvre de Lubitsch, élégant, délicat et hilarant : une leçon de cinéma et de vie.
- Réalisateur : Ernst Lubitsch
- Acteurs : Charles Ruggles, Miriam Hopkins, Edward Everett Horton, Herbert Marshall, C. Aubrey Smith, Kay Francis
- Genre : Comédie, Noir et blanc
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Splendor Films
- Durée : 1h23mn
- Reprise: 21 décembre 2022
- Titre original : Trouble in Paradise
- Date de sortie : 2 juin 1933
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Splendor Films propose une reprise en salle, le 21 décembre 2022, de trois classiques d’Ernst Lubitsch présentés en version restaurée, à savoir Haute pègre, Sérénade à trois et La huitième femme de Barbe-Bleue.
Résumé : Le gentleman cambrioleur Gaston Monescu et sa compagne Lily, ayant écumé plusieurs palaces internationaux, gagnent Paris où ils jettent leur dévolu sur une nouvelle victime : la riche et belle Mariette Collet. Fort de ses bonnes manières et de son élégance, Gaston n’a guère de peine à se faire embaucher comme homme de confiance. Engagée comme secrétaire, Lily assiste avec dépit à la naissance d’une idylle entre Gaston et leur séduisante patronne. Elle se venge en dévalisant le coffre de Mariette. Gaston s’accuse galamment du vol. Il est congédié à regret et rejoint Lily pour de nouvelles aventures.
Critique : Haute pègre était, paraît-il, le film préféré de son auteur. Nous ne sommes pas loin de partager son avis, même si Ninotchka, To Be or Not To Be ou The Shop Around the Corner sont du même niveau, c’est à dire des modèles d’intelligence et d’élégance qui hissent la comédie sophistiquée au rang de chef-d’œuvre. Lubitsch bénéficie de dialogues ciselés et de situations potentiellement hilarantes, mais sa fameuse « touch » transforme ce matériau initial en joyau incomparable. On pourrait insister sur sa direction d’acteurs, qui fait de Herbert Marshall et de Kay Francis la distinction incarnée, ou sur son sens du rythme, essentiel dans une comédie : les accélérations et les ralentissements imposent un tempo idéal, que souligne une utilisation subtile de la musique. Pour ne prendre qu’un exemple, lorsque Lily (la frêle et délicieuse Miriam Hopkins) se demande si Gaston l’a trahie, elle fredonne en préparant ses valises et donc leur fuite une mélodie du temps de leur rencontre, et son chant hésitant reflète ses atermoiements. Mais le cinéaste joue aussi des accents, des langues étrangères en virtuose ; le Russe énervé se fait parfaitement comprendre sans que les mots nous soient clairs ; de même les Italiens qui traduisent les propos de M. Filiba sont inutiles du point du vue narratif, mais éminemment drôles.
- © Splendor Films
L’essentiel du film se situe dans le luxueux appartement de Mme Colet, riche et séduisante veuve. Luxueux, mais sans ostentation : car ce qui intéresse Lubitsch, ce sont les portes, qui ne cessent de s’ouvrir et de se fermer, avec des significations différentes, et le grand escalier que chacun arpente à sa façon. Il définit ainsi une géographie singulière propre à son ballet personnel, de va-et-vient permanents ; on marche beaucoup dans ses films, et quasiment chaque déplacement fait avancer l’histoire. En effet, si les dialogues, on l’a dit, sont d’une finesse exemplaire, le cinéaste est à son meilleur quand il s’en passe : la jalousie de Mme Colet est ainsi montrée à la réception par une discussion que nous n’entendrons pas, la caméra demeurant à l’intérieur. Inversement, elle restera fixée sur un réveil pendant une scène d’amour que nous ne verrons pas. Tout est affaire de suggestion. Lubitsch crée un monde délicat, dans lequel l’allusion suffit : l’ombre du couple sur le lit, le cendrier en forme de gondole, sont des indices qui font appel à l’intelligence d’un spectateur complice. Et c’est un régal, une jouissance permanente que d’être surpris par une mise en scène inventive au plus haut point.
- © Splendor Films
La vision du grand monde que le film développe n’est pas très alléchante : le responsable de l’usine est un escroc, les deux amoureux éconduits sont stupides (mais quels second rôles !) ; entre vieux barbons et médisants, Mme Colet s’ennuie et cède à des caprices coûteux, comme d’acheter un sac hors de prix, celui-là même qui déclenche l’histoire d’amour. La logique est ici inversée, puisqu’elle rejette comme trop cher un sac à trois mille francs pour choisir celui à vingt-cinq mille. C’est qu’au fond l’argent ne représente pas grand-chose dans cette haute bourgeoisie, sinon un appât pour le « célèbre » voleur Gaston. Lubitsch préfère se concentrer sur les sentiments, et la séduction raffinée dont il raffole. Tout est jeu, dont une élégance folle obère la cruauté : la pauvreté et le manque affleurent pourtant, et ce dès le début ; la complice de Lily vit dans une chambre sordide et, plus tard, les miséreux qui lorgnent sur la récompense emplissent le vestibule. De même fait-on allusion plusieurs fois aux temps difficiles (« de nos jours... »), ce qui permet de rappeler que le film a été tourné peu après la crise de 1929. Alors, certes, la folle insouciance préside aux destinées des personnages en un tourbillon joyeusement immoral, mais une pointe d’amertume rehausse cette légèreté et la rend plus précieuse. Au fond, Haute pègre est une leçon de vie, imparable et subtilement hédoniste : la vie est courte, il faut se satisfaire de ce que l’on peut prendre, au mépris parfois d’une morale étroite et des conventions. Si la leçon semble un peu courte, elle prend toute son ampleur dans le film lui-même, qui est à lui seul un moment d’hédonisme. Mais elle s’enrichit aussi de parler avec une franchise que le code Hays interdira deux ans plus tard de sexe et de désir, à la manière inimitable de Lubitsch, car, comme on le sait depuis longtemps, tout est affaire de style.
– Reprise en salle : 23 janvier 2019, 21 décembre 2022
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