Voyage en Berlusconie
Le 12 décembre 2020
Virulente satire sur le magnat des médias italiens et très beau film sur le constat amoureux. Moretti voyage amèrement en Italie.


- Réalisateur : Nanni Moretti
- Acteurs : Nanni Moretti, Jasmine Trinca, Silvio Orlando, Michele Placido, Valerio Mastandrea, Anna Bonaiuto, Margherita Buy
- Genre : Comédie dramatique, Politique
- Nationalité : Italien
- Distributeur : Bac Films
- Durée : 1h52mn
- Date télé : 29 juillet 2024 22:35
- Chaîne : Arte
- Titre original : Il caimano
- Date de sortie : 22 mai 2006
- Festival : Festival de Cannes 2006, Sélection officielle Cannes 2006
Résumé : Producteur en faillite professionnelle et sentimentale, Bruno Bonomo, empêtré dans ses dettes, ses faiblesses, son mariage en fin de course, ses enfants sans repères, Bruno perd pied. Son chemin va croiser celui d’une jeune réalisatrice qui lui apporte un scénario, "Le caïman". Bruno croit à un thriller un peu musclé, mais s’aperçoit après une lecture plus sérieuse - bien qu’un peu tardive - qu’il s’agit d’un film sur Berlusconi.
Critique : Le caïman dégage une odeur familière, celle d’un cinéma politique oublié qui fustigeait la corruption dans l’Italie période seventies (Lucky Luciano, Main basse sur la ville...). Revenu chez lui après le Festival de Cannes 2001, Nanni Moretti a posé sa Palme d’or de La chambre du fils et repris son carnet de notes dans l’espoir de dynamiter une bonne fois pour toute l’œuvre politico-médiatique de Berlusconi. Des kilomètres de journal plus tard, il accouche d’une histoire sans concession sous forme d’une comédie douce-amère qui remet en question trente années de mainmise berlusconienne (culturelle, politique, sportive).
On y suit Bruno, producteur de séries Z en pleine traversée du désert. Côté famille, c’est la débâcle. Deux garçons qui grandissent trop vite, une femme qui s’éloigne progressivement et la cinquantaine qui pointe le bout de son nez.. Enfant malade d’une famille sans foi ni loi (le cinéma italien), ayant voté une fois "comme cela" pour Berlusconi, ce personnage lunatique tombe sur un scénario qu’il accepte sans deviner qu’il s’agit d’une charge virulente contre Berlusconi. Embringué dans son film infaisable, il comprendra qu’il doit faire face à ses démons pour tirer un trait sur son passé. Adieu la vie de couple, les matchs de foot de ses enfants, l’argent qui coule à flots, "l’idiotie politique et culturelle". Place à la dignité.
Entre la politique et le cinéma, il n’y a qu’un pas. Moretti patiente avant de franchir le Rubicon en limitant sa citoyenneté engagée. Conscient du gros poisson qu’il va ferrer, il oriente son film vers une description fantaisiste de l’ennemi. Il y a très peu d’attaques frontales et l’on sourit plus que l’on s’inquiète. Idée subtile car elle permet de mieux façonner ce sujet casse-gueule, véritable arme de réflexion. Ne pas devenir l’arroseur arrosé semble être la crainte ultime pour Moretti. D’où une fiction au discours quasiment invisible, le cinéaste préférant s’interroger sur le résultat des ravages berlusconiens dans le quotidien de ses compatriotes. Tableau sombre, bien évidemment.
Et comme pour la pêche, après avoir patienté, il faut se montrer violent afin de capturer le poisson, ici un caïman rusé et sanguinaire, donc jouer à son propre jeu. Ce que fait le cinéaste dans une dernière séquence d’anthologie. En incarnant Berlusconi pour la seule fois du film, il le frappe en plein cœur, montrant la vraie nature d’un quinquagénaire séduisant comme le diable et froid comme l’hiver. Comme on le sait, la roue tourne et Berlusconi vient de perdre les élections législatives. Mais l’image bien peu déformée qu’en montre Moretti laisse présager que l’histoire ne s’arrêtera pas là...
Norman06 22 avril 2009
Le Caïman - Nanni Moretti - critique
Film corrosif, Le Caïman est l’une des grandes réussites de Moretti dans sa dénonciation des dérives de son pays. Indispensable.