Tout sur ma mère
Le 21 mai 2020
Avec Mia Madre, Moretti nous parle de sa mère et dessine une mise en abyme éclatante d’autodérision pour évoquer son cinéma. Joli instantané de ses doutes et de l’Italie d’aujourd’hui.
- Réalisateur : Nanni Moretti
- Acteurs : John Turturro, Nanni Moretti, Margherita Buy, Giulia Lazzarini, Stefano Abbati
- Genre : Drame
- Distributeur : Le Pacte
- Durée : 01h47mn
- Date télé : 21 mai 2020 20:40
- Chaîne : OCS City
- Date de sortie : 2 décembre 2015
- Festival : Festival de Cannes 2015
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Année de production : 2015
Résumé : Margherita est une réalisatrice en plein tournage d’un film dont le rôle principal est tenu par un célèbre acteur américain. À ses questionnements d’artiste engagée, se mêlent des angoisses d’ordre privé : sa mère est à l’hôpital, sa fille en pleine crise d’adolescence. Et son frère, quant à lui, se montre comme toujours irréprochable… Margherita parviendra-t-elle à se sentir à la hauteur, dans son travail comme dans sa famille ?
Critique : À qui appartient le "mia" du titre du dernier Nanni Moretti ? Margherita, réalisatrice de cinéma en panne d’inspiration dont la mère est mourante, voudrait que ce mot ne soit que pour elle. Mais celle-ci doute d’être à la hauteur, jalousant secrètement son frère, toujours présent et attentionné. Dans une Italie désertée par la conscience politique d’antan, le temps ne serait-il pas venu de s’en remettre à l’intime ? De s’interroger, alors que le temps passe et que les jours de certains sont comptés, sur ces détails de la personnalité des êtres aimés qui nous ont échappés. En un sens, c’est cet abîme insondable que tente de combler Moretti avec Mia Madre. Le réalisateur italien a beau s’en défendre, son idée est encore ici de libérer son inconscient sur un axe autobiographique. À la différence que la personnalité du cinéaste se cache cette fois davantage sous les traits de Margherita que ceux du frère, qu’il incarne à l’écran.
- © Le Pacte
Le film tourné par Margherita met en scène des ouvriers d’usine s’opposant à la fermeture de leur entreprise. Cette dernière donne comme consigne à ses acteurs de jouer "à côté" de leur rôle, d’interpréter à la fois leur personnage sans masquer leur vérité d’acteur. Une vieille directive que ni Margherita ni les acteurs ne parviennent réellement à comprendre. Résultat, tout sonne faux dans son long métrage, et même la réalisatrice s’interroge sur la véritable finalité de son entreprise : les séquences de tentative d’occupation de l’usine laissent-elles vraiment transparaître que le film prend la défense des travailleurs ? Par extension, se demande ainsi Moretti, un cinéma militant est-il encore possible ? Toutes ces vaines tentatives de représentation ne seraient-elles pas ob-scènes, c’est à dire trop "à côté", justement, au sens de Roland Barthes ? En jouant à nouveau la carte de l’autodérision, Moretti pose de vraies questions. La meilleure manière de combler ce vide, de retrouver une énergie créatrice spontanée, ne serait-elle pas d’abord de retourner vers les siens, de laisser plus de place à l’intime ?
- © Le Pacte
En mettant en scène ses propres cauchemars et doutes, le cinéaste ; qui avait remporté la Palme d’or avec La chambre du fils en 2001, parle de son rapport au monde et au cinéma. Parce que le métier de réalisateur est une entreprise accaparante, il est parfois difficile de continuer à s’investir tout en prenant le temps d’écouter les siens. Moretti, comme Margherita, se sent probablement coupable de ne pas leur avoir consacré le temps qu’il aurait fallu, y compris à sa mère. Or, c’est au moment où la mort se fait de plus en plus précise que cette prise de conscience est possible.
- © Le Pacte
L’acteur américain Barry Hemmings, interprété par John Turturro et auquel le jury présidé par les Coen pourrait évidemment se montrer sensible, fait office de révélateur dans Mia Madre. Roi du cabotinage et de l’esbroufe, ce dernier va sans le vouloir mettre au jour tout ce refoulé qui ne passe pas chez Margherita. Incapable de retenir ses répliques parce qu’elles sonnent faux, ou inapte à les prononcer correctement à cause du dispositif filmique imposé par la production, Barry met le doigt sur quelque chose : le film de Margherita n’est pas juste et ne peut pas fonctionner. Le pourquoi est à chercher dans la sphère privée. Une piste qui va petit à petit amener la cinéaste, par ailleurs torturée par des rêves oppressants, à chercher une solution en questionnant son rapport aux siens. Plutôt que de singer un cinéma militant suranné, ou de reproduire des schémas dépassés, il serait nécessaire, semble affirmer en filigrane Moretti, d’inventer quelque chose de neuf, dans l’air du temps. Lorsque Margherita demande à sa mère à quoi elle pense, elle lui répond, lumineuse : "à demain", à ce dont l’avenir sera fait. Une chose est sûre pour Moretti : ce n’est pas en ressassant l’ancien cinéma des Petri, Antonioni et autres références italiennes de la critique sociale que l’on dénoue quelque chose. Malade, l’Italie a besoin de renouveau. A nous, d’abord, de le chercher en nous même et de le construire, en commençant par revoir notre rapport à l’altérité. Nécessité ô combien cornélienne et exigeante.
- © Le Pacte
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