Le 5 novembre 2024
Un regard singulier sur la Shoah, privilégiant le hors champ et confirmant l’originalité du cinéma de Jonathan Glazer.
- Réalisateur : Jonathan Glazer
- Acteurs : Sandra Hüller, Christian Friedel, Ralph Herforth, Maximilian Beck, Marie Rosa Tietjen, Sascha Maaz
- Genre : Drame, Historique, Film de guerre, Drame historique
- Nationalité : Américain, Britannique, Polonais
- Distributeur : Bac Films
- Editeur vidéo : Blaq Out
- Durée : 1h46mn
- Date télé : 6 novembre 2024 21:00
- Chaîne : Canal+ Cinéma
- Titre original : The Zone of Interest
- Date de sortie : 31 janvier 2024
- Festival : Festival de Cannes 2023
– Sortie DVD/Blu-ray : 5 juillet 2024
Résumé : Seconde Guerre mondiale. Le commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss, et son épouse Hedwig s’efforcent de construire une vie de rêve pour leur famille dans une maison avec jardin à côté du camp.
Critique : Réalisateur britannique venu du clip et de la publicité, Jonathan Glazer s’était fait remarquer par ses longs métrages Sexy Beast (2000), Birth (2004) et Under the Skin (2013), dans lequel Scarlett Johansson incarnait une prédatrice extraterrestre froide et dépourvue de sentiments, avalant dans son magma intemporel des jeunes hommes éblouis par sa beauté froide. Si The Zone of Interest dispose d’un sujet a priori aux antipodes, on peut y retrouver la description du crime effectué sans conscience ni influence émotionnelle, et cette volonté du réalisateur de bâtir une esthétique dépouillée dans le cadre d’un langage cinématographique invitant le spectateur à une expérience formelle. On pourrait trouver ces intentions déplacées, tant le thème de l’extermination des juifs peut sembler a priori incompatible avec des recherches esthétiques. Le cinéaste s’en sort pourtant plutôt bien, et se fonde sur un double matériau, historique et littéraire. La biographie de Rudolf Höss est l’argument central. Il fut le commandant d’Auschwitz de 1940 à 1943, tout en logeant avec sa famille dans une somptueuse villa avec jardin, située devant le camp. Ses mémoires avaient inspiré La mort est mon métier de Robert Merle, puis le roman The Zone of Interest de Martin Amis (éd. Calmann-Lévy, 2015). Le film, comme le livre, décrit avec précision le quotidien de Höss dans son logement cossu, menant une existence bourgeoise et traditionnelle, aux côtés de Hedwig, son épouse fidèle et de leurs enfants. La mise à disposition d’un jardin et la proximité d’un lac ne sont pas les moindres éléments de confort de cette famille aryenne modèle. Madame est servie par une domestique qui la seconde dans les fonctions domestiques, et n’oublie pas de recevoir les autres épouses d’officier. On s’y retrouve autour d’un thé en discutant notamment de l’éducation des enfants ou de ce diamant que l’une d’elles a trouvé, caché, dans un tube de dentifrice qui appartenait à un juif… À deux pas de la maison, des cris étouffés et des coups de feu peuvent se faire entendre, et une fumée peut être vue ou se faire sentir, sans que cela suscite le moindre trouble chez les membres de la famille Höss.
- © Courtesy of A24 / MICA LEVI
En somme, le film se réfère à la « banalité du mal » traitée par Hannah Arendt, et le mode de vie de Rudolf et Hedwig Höss s’avère être similaire à celui des couples dont le mari était haut fonctionnaire, l’épouse se sentant même privilégiée, gratifiée du titre de « reine d’Auschwitz » par son mari. Et cela sans le moindre cynisme, simplement avec le déni de l’horreur historique se déroulant à quelques dizaines de mètres. De l’intérieur du camp, le spectateur ne verra rien, à l’exception de courtes scènes situées dans le bureau de Höss, dont l’une le présente en compagnie d’une jeune déportée avec laquelle une relation intime est suggérée. The Zone of Interest a été projeté en compétition officielle cannoise le jour ou Shoah de Claude Lanzmann a été inscrit au registre de la Mémoire du monde de l’Unesco. Le métrage de Glazer n’est certes pas du niveau de ce documentaire fleuve, ni de celui des deux autres œuvres de référence sur ce thème, à savoir La passagère d’Andrzej Munk et Le fils de Saül de László Nemes. Mais il surpasse nettement des productions discutables comme La vie est belle de Roberto Benigni ou Simone, le voyage du siècle d’Olivier Dahan. La proposition de Glazer a le mérite de respecter la dignité et la retenue qu’un tel sujet impose, tout en osant l’originalité filmique, mais sans céder aux excès stylistiques. On appréciera en particulier les brefs passages oniriques ou les allusions au mémorial qu’est devenu Auschwitz. Et si le réalisateur a tenu à de nombreux détails réalistes, comme l’utilisation du polonais et de l’allemand, empruntant même la grammaire et le phrasé daté mais caractéristique des nazis, il ne tombe pas non plus dans le didactisme et la linéarité, préférant l’épure et la suggestion, contrairement à La conférence de Matti Geschonneck, passionnante évocation de la conférence de Wansee. Cette distanciation est la qualité de The Zone Interest mais peut-être aussi son unique limite, le spectateur d’adressant davantage à des cinéphiles qu’à des historiens. Les interprètes se meuvent avec aisance dans ce dispositif minimaliste. Christian Friedl, déjà dirigé par Haneke et Jessica Hausner, fait jeu égal avec sa partenaire Sandra Hüller qui confirme, après Requiem ou Toni Erdmann, qu’elle est l’une des meilleures comédiennes allemandes.
Gérard Crespo
© Blaq Out
Le test Blu-ray
Image :
L’image est comme travaillée au bistouri et ciselée avec un regard chirurgical. La Solution finale voisine avec une insouciance qui peut presque choquer parfois.
Son :
Le son perd de sa pertinence si vous optez pour la version française et non la version originale. La partition peut paraître sobre mais colle parfaitement au film.
Suppléments :
Les suppléments sont pléthoriques et constituent une source enrichissante d’informations surtout sur le plan filmique mais également historique :
– Entretien avec Antoine Desrues, critique de cinéma (32 minutes passionnantes et éclairantes sur ce long-métrage obscur mais nécessaire) ;
– Secrets de tournage (8 minutes pour découvrir des arcanes bienvenues car tout spectateur n’est pas un alchimiste confirmé) ;
– Filming Zone (32 minutes de making of offertes au spectateur : ce n’est pas rien et cela ne se refuse en aucun cas).
Éric Françonnet
– Festival de Cannes 2023 : sélection officielle, en compétition
– Cannes 2023 : Grand Prix, Prix CST de l’artiste-technicien pour Johnnie Burn, Prix Cannes Soundtrack de la musique de film pour Mica Levi, Prix FIPRESCI
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mb,33 26 mai 2023
La zone d’intérêt - Jonathan Glazer - critique
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