Requiem pour un massacre
Le 4 novembre 2015
L’héritier de Belà Tarr a secoué la Croisette avec une oeuvre oppressante, doublée d’un choc esthétique, ayant pour cadre le camp de concentration d’Auschwitz. Pas de doute, l’un des moments forts de cette 68e édition.
- Réalisateur : László Nemes
- Acteurs : Géza Röhrig, Urs Rechn, Levente Molnár
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Hongrois
- Distributeur : Ad Vitam
- Durée : 1h37mn
- Titre original : Saul fia
- Date de sortie : 4 novembre 2015
- Festival : Festival de Cannes 2015
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Octobre 1944, Auschwitz-Birkenau. Saul Ausländer est membre du Sonderkommando, ce groupe de prisonniers juifs isolé du reste du camp et forcé d’assister les nazis dans leur plan d’extermination. Il travaille dans l’un des crématoriums quand il découvre le cadavre d’un garçon dans les traits duquel il reconnaît son fils. Alors que le Sonderkommando prépare une révolte, il décide d’accomplir l’impossible : sauver le corps de l’enfant des flammes et lui offrir une véritable sépulture.
Critique : Ce premier long métrage du cinéaste hongrois László Nemes, développé à la Résidence de la Cinéfondation au Festival de Cannes en 2011, Thierry Frémaux l’annonçait comme un film périlleux lors de la conférence de presse qui précédait le festival. Énième variation sur la Shoah, il augurait déjà un nouvel élan pour le festival, qui n’avait pas proposé de premier film depuis quelques années en Compétition Officielle. Le film n’a pas déclenché de réactions de rejet, mais le choc fut total malgré des applaudissements timides. Les festivaliers sont assurément sortis estomaqués, certainement trop étourdis pour l’acclamer davantage.
Traitant un sujet à priori rebattu, et pourtant toujours nécessaire, Le Fils de Saul est d’une grande originalité dans son traitement. La caméra embarquée suit les pas de Saul, Sonderkommando au service de l’Allemagne nazie. Chargé de rassurer les déportés dans le sas de la chambre à gaz (promettant un thé après ce qu’ils pensaient être une douche) et de déblayer les corps (« objets » dans les bouches des Allemands) jusqu’aux fours crématoires, Saul survit grâce à ces gestes répétitifs et machinaux. Les Sonderkommandos, souvent décrits dans la littérature qui a suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale et dans quelques récits autobiographiques (au cinéma on pense à Shoah de Claude Lanzmann) ; rares sont les films ayant traité avec autant de réalisme l’itinéraire de ces juifs agissant sous la contrainte des Allemands.
- © Ad Vitam
Saul reconnaît dans les amas de corps défigurés un visage connu, celui de son fils. S’ensuit alors une course effrénée, avec comme ultime mission de dresser une sépulture décente pour le fruit de ses entrailles. Dans ce but, il lui faudra trouver un rabbin pour enterrer son enfant dans la tradition. Encerclé par les kapos et alors qu’éclate la seule révolte armée dans l’histoire du camp d’Auschwitz (qui a réellement eu lieu en 1944, alors que les troupes russes se rapprochaient de l’horreur), Saul, au risque de sa vie tente l’impossible. Les obstacles sont nombreux et sa foi est inébranlable.
Notre personnage est au cœur de chaque plan-séquence, suivi sans discontinu par une caméra aimant. Face à une caméra pas vraiment subjective et encore moins objective, le spectateur devient Saul dans ce périple aux rebondissements incessants. Le réalisateur évite de peu le voyeurisme malsain qu’un tel projet aurait pu comporter, s’arrêtant à la distance nécessaire. Nous ne franchirons par exemple jamais la porte de la chambre à gaz et nous arrêterons avec Saul. De ces fragments de réalité, le spectateur devra reconstruire les bribes manquantes.
La photographie désaturée (presque monochrome) et maîtrisée du chef opérateur Matyas Erdély participe à la réussite du film, au même titre que l’utilisation (étouffante) du format 1.37. La profondeur de champ est réduite à son minimum : aucun horizon ni lignes de fuites mais des visages marqués parcourent ce périple insoutenable. Saul poursuivra son but, du renoncement à la résistance, alors que ses congénères prennent les armes et tentent l’évasion. C’est finalement tout ce qui les raccroche à leur humanité, la lutte et les souvenirs, le geste ultime étant d’offrir au défunt une sépulture.
Le Fils de Saul est assurément un film tendu et oppressant, on en ressort troublé mais conscient d’avoir assisté à un choc esthétique. Un film certes pas aimable mais qui nous laisse persuadés que nous tenons là l’étoffe d’un cinéaste à suivre, pour le meilleur, et comme ici, dans le pire.
Galerie Photos
Le choix du rédacteur
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.