Le 9 juin 2024


- Dessinateur : Emma Grove
- Collection : Outsider
- Genre : Autobiographie, Roman graphique
- Editeur : Delcourt
- Famille : Roman graphique
- Date de sortie : 22 mai 2024
Un récit au long cours sur un état psychologique, ou plutôt un triple état.
Résumé : Née garçon, Emma a traversé un long chemin pour arriver à sa transition de genre. Au milieu, une dissociation lui fait incarner trois personnes différentes. Elle raconte ce moment à travers les thérapies qu’elle a réalisées...
Critique : Avec un tel pavé, Emma Grove promet une immersion complète sur un moment de sa vie, celui de la thérapie nécessaire pour tout transgenre souhaitant changer de sexe aux Etats-Unis. En effet, avant la prise d’hormones ou l’opération, un thérapeute professionnel doit valider la motivation et surtout l’état mental de son patient, et c’est ce processus que va transcrire l’autrice, née garçon mais se sentant fille depuis trop longtemps. À travers ces près de mille pages, dont l’immense majorité réside dans un face à face avec un premier (puis un second, plus compréhensif) thérapeute, le lecteur va passer lui aussi par toutes les émotions : l’injustice de voir ce personnage, qui reste homme pour travailler, car cela est plus commode, plus utile pour se défendre, mais ne sort qu’en fille, s’éclate seulement lorsqu’il revêt sa perruque, mais cela le contraint à petit à petit se dissocier. Et c’est là le cœur du problème, ce que la narratrice parvient d’ailleurs à retranscrire avec une grande authenticité, c’est l’alternance des personnalités, subie ou voulue. En effet, trois personnalités se côtoient au début du récit, et si c’est finalement Emma qui va s’imposer, les deux restants demeurent des traumatismes que la thérapie va finir par expliquer et soigner. C’est donc un processus de soin psychologique qui se lit à travers ce récit, véritable catharsis qui transcrit des pans entiers de dialogues, réels et imaginaires, pour s’approcher au plus possible (et l’autrice reconnaît en avant-propos et en épilogue que tout n’est pas complet) de la vérité de son introspection.
Pour ce qui est du style graphique, ces mille pages, dessinées à la hâte pour caler sur le papier le plus rapidement possible un flot de pensées et de souvenirs que l’on peut sans peine imaginer incontrôlable, représentent un ensemble assez redondant et simple. De fait, les plans moyens sur les deux personnages centraux, Emma (ou ses alter-egos) et son thérapeute, sont légions, la taille des yeux ou un geste de la main changeant le plus souvent d’un dessin à l’autre. Les énervements sont nombreux de part et d’autre, et l’on aurait aimé avoir plus de scènes de la vie quotidienne – travail, sorties, famille (éléments qui arrivent tardivement dans le roman graphique) – pour varier les plans, décors et situations, car même si le thérapeute s’y prend mal, on comprend son énervement face à la bonne foi supposée ou la répétition de certains dialogues sur la confiance et sur la motivation de sa patiente.
- © Delcourt / Grove
Phénomène dense et original, La troisième personne est probablement la première situation graphique et même littéraire qui décrit un moment de trouble et de soin psychologique expliquant un traumatisme, mais aussi un état, celui d’être transgenre.
920 pages – 39,90 €